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et, particulièrement chez les peintres, un instinct d’imitation qui nuit beaucoup à leur originalité. Ces derniers sont perdus par leur facilité même et surtout par la fascination de Paris. Dès qu’un jeune homme s’est approprié quelques recettes de métier, il s’empresse de passer la frontière. Montmartre lui apparaît comme un Sinaï. Nos renommées les plus éphémères et les plus tapageuses lui en imposent. L’humanité, pour ses yeux naïfs, se restreint à la figuration de nos music-halls, de nos bars et de nos petits théâtres. Grâce à la virtuosité prodigieuse qu’il apporte de son pays et à son désir frénétique d’arriver, il réussit bientôt à faire plus « parisien » que les Parisiens eux-mêmes. Il se gâte avec le succès, il finit par sombrer dans l’illustration. Combien de pauvres diables d’artistes se plaignent de l’invasion, par les Catalans, des journaux illustrés ! D’autres fois au contraire, ils se cantonnent chez eux, ils s’enferment dans les formules régionalistes les plus intransigeantes : n’auront de génie que ceux qui peindront les villages de la Catalogne, les rues, les places et les figures de Barcelone ! Alors, c’est le réalisme étroit et tatillon de nos provinciaux hypnotisés par les théories félibréennes mal comprises, — ou bien, sous prétexte de traditionalisme, le pastiche élevé à la hauteur d’un dogme, des grands maîtres espagnols.

De tous ces artistes si remuans, si entreprenans, les plus audacieux et aussi, malgré toutes les réserves qui s’imposent, les plus originaux, sont peut-être les architectes. Cela tient sans doute à ce qu’ils ont d’excellens modèles sous les yeux, des modèles que chacun peut contempler dans la rue et qui exercent ainsi une sorte de contrainte salutaire sur les écarts de leur fantaisie. Au point de vue monumental, Barcelone présente trois : types bien distincts : le moyen âge qui est tout à fait supérieur, le XVIIIe siècle, qui est bon, le modern-style, qui est, en général, détestable. Heureusement, pour les Barcelonais, que les théories du nationalisme catalan obligent les architectes à s’inspirer surtout du moyen âge, parce que ce fut l’époque de leur splendeur et de leurs libertés ! Ils y ont obtenu un « style national, » qui n’est pas dépourvu de distinction et qui, en tout cas, me semble moins opprimant pour la vue que cet autre « style national » adopté depuis quelques années par les Italiens. Leurs promenades et leurs boulevards sont bordés d’hôtels et de maisons gothiques, qui, souvent, sont fort agréables à regarder.