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à une exposition de peintres italiens. On y voyait un Centaure farouchement musclé bondir, les bras tendus, vers une forme féminine à demi émergée des nuages et couchée sur la ligne de l’horizon. La croupe bestiale de l’étalon offusquait d’abord le regard, qui remontait ensuite au torse viril, puis à la tête intelligente du Centaure, pour se perdre dans la lointaine vision de beauté suspendue aux arrière-plans. Cette image violente me hantait à Barcelone, lorsque, à chaque pas, je constatais l’effort de son peuple opulent, — un peu alourdi par son opulence, par la pesanteur de ses muscles et la congestion de sa robuste santé, — vers tout un idéal d’art et de civilisation intellectuelle.

Ces travailleurs, ces marchands et ces industriels veulent avoir leurs peintres et leurs sculpteurs, leurs architectes et leurs musiciens, leurs poètes, leurs romanciers et leurs savans. Barcelone entend bien devenir de plus en plus la capitale espagnole de l’Intelligence et de la Beauté. Ecoutez plutôt, dans les cercles, les jeunes Catalans qui dissertent. De quel ton de dédain ils parlent de Madrid ! D’après eux, Madrid est la ville des parlotes académiques, de la politique creuse, des frivolités mondaines ou sportives : automobiles, courses de taureaux, tournois parlementaires, telles sont ses occupations et ses plaisirs ! tandis que Barcelone !…

En réalité, s’ils sont injustes pour les Madrilènes, ils ne se vantent pas eux-mêmes outre mesure. Il est incontestable que le Catalan, outre ses qualités pratiques, est fort heureusement doué pour l’art, la littérature et les sciences. Encore une fois, il a du sérieux, du poids, de la persévérance, voire de l’opiniâtreté. Et, avec cela, une facilité de virtuose, un sens extraordinaire de la couleur et de la somptuosité, enfin, une imagination exubérante. Il me semble retrouver dans ces dons, les caractères mêmes de la terre et de la race catalanes, celle-ci qui est âpre à la peine et aussi toute fondue en jouissance, l’autre qui est à la fois lumineuse et terne, regorgeante d’une matérialité un peu grossière et pourtant ennoblie et comme spiritualisée par le profil si beau de ses montagnes.

A côté de ces qualités, il faut bien avouer que les Catalans ont de graves défauts. Je connais mal leur prose et leur poésie locales. Mais ce qui m’a frappé, en général, chez leurs artistes c’est tantôt un manque de culture fort préjudiciable à des talens très réels, tantôt (et le plus souvent) l’incertitude de leur goût,