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fascinent comme des foyers de splendeur, qu’il s’agisse de la Calle Fernando VII, la grande voie commerçante de Barcelone, ou de rues plus modestes, comme la Calle del Conde Asalto, ou même de l’étroit couloir de la Calle de Escudillers. Celle-ci surtout est singulièrement attirante pour des yeux étrangers. Resserrée entre ses hauts murs, illuminée par des lustres en fer forgé et fleuronné, qui balancent, au-dessus du pavé, leurs feuillages, leurs pendeloques et leurs couronnes féodales, elle s’enfonce dans les ténèbres nocturnes, comme la nef d’une étrange basilique gothique, dont le chœur serait noyé dans l’ombre… Ces prodigalités d’éclairage déguisent-elles une intention symbolique ? Les gens de là-bas, en déversant ainsi des torrens d’électricité sur leur ville, veulent-ils prouver au monde qu’elle est la Ville-lumière de l’Espagne ? En tout cas, je crois deviner chez le Barcelonais qui débarque à Paris une impression absolument contraire à celle que je ressens, chaque fois que j’arrive à Barcelone. Lorsque, du fond de son fiacre, il voit s’espacer, le long de nos quais déserts, de misérables becs de gaz clignotant dans le brouillard, il ne peut que définir Paris : une ville arriérée, frigide et noire.

Barcelone est joyeuse, parce qu’elle est lumineuse. La lumière crée la joie. N’est-ce point ici, dans ce pays de soleil, qu’ils se sont avisés d’appeler le costume chatoyant de leurs toreros « l’habit de lumière ? » Le joli nom ! Et comme il évoque la silhouette soyeuse du gymnaste vêtu de reflets, qui bondit dans la grande lumière vespérale de l’amphithéâtre ! Même les jeux cruels du sang, ils les veulent encore embellis et poétisés par la lumière. Que dis-je ? Cet endroit banal qu’est un café, ils l’aiment, ils y vivraient sans ennui, parce que le café est un « lieu de lumière. » Nos gens du Nord qui se figurent ces endroits-là d’après les tabagies de nos faubourgs ne sauront jamais ce que signifie un café pour un Espagnol, ou même pour nos Méridionaux.

Les cafés sont la gaîté et la parure triviale de Barcelone. Il en est d’illustres dans le nombre, — dont les provinciaux rêvent au fond des casinos minables de leurs pueblos : le café Colon, le café Suizo, le café de Oriente, la Maison Dorée, le café de Novedades ! J’en passe !… Il faut bien que le seul plaisir de la parade et la flânerie y retiennent les Barcelonais, car, à l’exception de la Maison Dorée et des Novedades, tous ces lieux publics sont, en