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Saint-Mathieu, Santa Maria la Real, que j’aimais, avant de l’avoir vue, à cause des sonorités tolédanes de son nom ! Sanctuaires ombreux et frais, où, dans une pénombre inquiétante, reluisent les dorures de reliquaires extravagans et monstrueux, où des madones pleureuses étalent, au pied de la croix, leurs robes de brocart plastronnées d’une étoile de glaives à la hauteur du corsage ; où d’autres épongent leurs beaux yeux avec un mouchoir de dentelles soutenu par une petite main chargée de bagues. Et l’on y voit encore des Christ au Tombeau, entourés des Apôtres. Le Corps divin repose dans un vrai lit, sous une courtepointe tuyautée. La chevelure naturelle du Crucifié répand ses papillotes sur la blancheur fraîchement repassée d’un oreiller de batiste. Cette literie, ces cheveux, cette face livide, c’est effrayant comme la rencontre brusque d’un cadavre !…

On sort, dans le grand soleil de la rue : une affiche en couleurs annonce une course de taureaux pour le prochain dimanche. On va plus loin, vers les quartiers populaires. Des vendangeurs coiffés du bonnet national sont assis à la devanture des cabarets. Les mulets des attelages secouent les pompons rouges de leurs colliers et les résilles flottantes de leurs chasse-mouches… Si nous ne sommes pas précisément en Espagne, nous voilà, il me semble, dans une Catalogne déjà suffisamment catalanisante, pour que l’autre, celle au-delà des Pyrénées, nous soit un peu moins étrangère.

Quand, à Perpignan, on a pris l’air de la Loge, parcouru les églises, respiré les parfums agrestes du faubourg Notre-Dame, on est mûr pour le voyage de Barcelone.


III. — BARCELONE, VILLE DE JOIE ET DE LUMIÈRE

A quelque moment qu’on y arrive, — de jour ou de nuit, — elle vous met tout de suite l’imagination en fête, par son extraordinaire intensité lumineuse.

Le soir, les incandescences des globes électriques remplacent celles du soleil. C’est un éblouissement tel que je ne l’ai éprouvé que là, à un degré semblable. Les électriciens de Barcelone sont certainement supérieurs aux nôtres, car nos grands boulevards sont moins brillamment éclairés que leurs Ramblas. Mais, plus encore que cette artère centrale, les rues adjacentes vous