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certain relèvement récent de la valeur locative des terres dans un certain nombre de départemens, la moins-value du revenu agricole total de la France depuis 1880 ne dépasserait pas 10 p. 100. C’est là une appréciation optimiste ; elle laisse encore subsister une dépréciation considérable.

Les faits opposant, dans les circonstances récentes, à la doctrine de Ricardo et de Mill ou aux conséquences qu’on en tirait un flagrant démenti, témoignent ainsi que, en ce qui concerne l’agriculture, depuis un quart ou un tiers de siècle, le prétendu accroissement spontané du revenu, la plus-value non gagnée ou imméritée n’existe pas. Mais elle existe, assure-t-on, pour les terrains urbains et pour les mines.

Qu’il se soit fait avec les terrains dans les villes et avec les exploitations minières, qu’il continue de se faire même des fortunes où entrent pour une part, en dehors de la sagacité et du mérite du propriétaire, les circonstances extérieures, cela n’est pas contestable. S’ensuit-il que l’Etat puisse s’attribuer les plus-values de cette nature ? La question doit être plus générale ; elle se ramène à ceci : étant donné qu’il y a un grand nombre d’entreprises privées aléatoires, est-il juste et opportun que l’État revendique pour lui toutes les bonnes chances ou une grande partie des bonnes chances et laisse aux particuliers qui y sont engagés la totalité des mauvaises chances ? S’il y a, en effet, des terrains qui haussent de valeur, il se trouve, dans les villes qui déclinent ou même dans certains quartiers des villes les plus florissantes, comme celui du Palais-Royal à Paris, nombre de terrains perdant en une ou deux dizaines d’années la moitié ou parfois davantage de leur valeur. A côté de la plus-value dite imméritée, il y a la moins-value imméritée : l’Etat néglige celle-ci, mais il veut mettre la main sur celle-là. Et de même, à plus forte raison encore, pour les mines ; s’il y en a qui réjouissent leurs propriétaires par leur merveilleuse prospérité, il en est d’autres, en très grand nombre, en beaucoup plus grand nombre même, qui dévorent, sans rien rendre, les capitaux qu’on y incorpore. Si l’État veut s’approprier les bonnes chances en restant indifférent aux mauvaises, est-ce que l’équilibre des mobiles humains ne sera pas rompu ? Est-ce que les motifs à l’activité et à l’entreprise ne seront pas sensiblement atténués, aux dépens même du progrès social ?

M. Lloyd George, le chancelier de l’Échiquier, en faisant