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française est, à ce point de vue, très différente de celle de la population allemande ou de la population italienne qui, incapables de produire sur leur sol leur propre nourriture, voient l’alimentation populaire considérablement renchérie par les taxes douanières.

Il ressort de ce rapide exposé que les vives attaques élevées, au point de vue de l’équité, contre le régime fiscal de la France, sont surannées ; elles sont des réminiscences d’un état de choses très ancien et qui a disparu. Nous dressions, il y a déjà un quart de siècle, avec des documens précis en main, un tableau comparatif des impôts payés à Paris même par un ménage d’ouvriers et par un ménage opulent ; il ressortait de ce rapprochement que le second payait à l’Etat, au département et à la Ville, presque le double de ce que payait le premier[1]. Ce tableau a été souvent cité à la tribune du Parlement ; il n’a été l’objet d’aucune contestation sérieuse. A plus forte raison, aujourd’hui que les droits sur le sucre ont été réduits de moitié, que les droits sur les boissons hygiéniques à Paris ont été abaissés de plus des neuf dixièmes, que la taxe postale a été diminuée d’un tiers, pour ne parler que des réductions les plus connues, est-il certain que la prétendue surcharge d’impôts pour les classes peu fortunées est un préjugé qui a ses racines dans un état social disparu. Il suffirait, par des opérations aisées, de mettre deux de nos contributions directes complètement au courant de certains faits nouveaux, pour que notre régime financier dût être considéré comme se rapprochant, autant que la complexité de la vie sociale moderne le permet, de la perfection.

Cette perfection fiscale, l’Angleterre du troisième quart du XIXe siècle se flattait de l’avoir atteinte. Avant la fâcheuse guerre de l’Afrique du Sud et avant la rivalité allemande pour la marine, le budget britannique apparaissait comme singulièrement simple, libéral et productif. On avait graduellement supprimé la plupart des impôts indirects et des droits de douane, qui avaient été, les premiers du moins, plus touffus en Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle, qu’en aucun autre pays. Il suffit de se reporter à un document financier anglais vieux de dix ou quinze ans. Tous les impôts indirects intérieurs avaient été abolis, à l’exception de ceux sur les spiritueux, sur la bière et sur la

  1. Ce tableau a paru dans la préface de la troisième édition (1883) de notre Traité de la science des Finances et il a été reproduit dans les éditions postérieures.