Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discours ministériels. Et ceux qui parlent avec cet inconscient cynisme croient être d’honnêtes et prévoyans hommes d’Etat.

Cette Révolution fiscale, qui est en train de s’accomplir simultanément en Angleterre et en France et qui, par la puissance de l’imitation, gagne d’autres pays, ne s’est révélée sous son aspect brutal que dans les trois dernières années. Il y en a eu, toutefois, des prodromes, un peu plus lointains, quoique assez récens encore ; ç’a été, en Angleterre, le vote en 1894 du tarif de droits progressifs élevés sur les successions, suivant la proposition de sir William Harcourt, alors chancelier de l’Echiquier dans un ministère libéral ; et ce fut peu après, en France, le vote, dans des conditions plus modérées, mais qui devaient conduire à de prompts entraînemens, d’un tarif progressif pour les droits successoraux en 1901.

Ces brèches faites au principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt ébranlèrent singulièrement le régime financier que les législateurs de la fin du XVIIIe siècle et de tout le XIXe siècle avaient, avec tant de soin et de succès, élaboré. Il n’est pas superflu de rappeler ici les traits principaux de ce régime qui fournit aux Etats bien administrés d’abondantes ressources, qui maintint la concorde entre les citoyens et nui aida au prodigieux épanouissement de richesse et à l’élévation de toutes les classes de la population dont le XIXe siècle fut le témoin et le bénéficiaire.


I. — LES TRAITS CARACTÉRISTIQUES DU RÉGIME FISCAL MODERNE

Le régime fiscal moderne, celui qui existait sans altération grave il y a vingt ans et qui existe encore, à l’heure présente, dans l’ensemble, quoique avec quelques regrettables altérations, en Angleterre et en France, se recommande par les traits suivans : la complète égalité des citoyens devant l’impôt, ce qui rend effective la célèbre formule qu’il n’y a d’impôt légitime que celui qui a été consenti par le contribuable ; l’impôt réel et impersonnel, c’est-à-dire portant sur les choses, sur les biens concrets, sans intrusion dans la vie du contribuable, dans ses affaires, dans sa situation spéciale, dans ses secrets ; le recours à des signes extérieurs, à des indices sagement et prudemment choisis et interprétés, pour taxer les revenus qui ne se dénoncent pas d’eux-mêmes ; l’emploi d’une partie des plus-values