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une si faible confiance dans les lois tutélaires qu’on leur promet qu’ils ont résolu de se défendre eux-mêmes et qu’ils ont envoyé aux évêques des assignations à comparaître devant le tribunal correctionnel de l’arrondissement pour s’entendre condamner à payer chacun une indemnité pécuniaire de 5 000 francs aux instituteurs qu’ils ont diffamés. Les évêques leur ont causé un préjudice. « Ce préjudice consiste, disent-ils, dans l’atteinte portée au crédit et au prestige que doit posséder chaque instituteur au regard des enfans qui lui sont confiés et des parens de ces enfans. » En conséquence, à la lettre collective des évêques répond l’assignation de la Fédération des Amicales des instituteurs et des institutrices. Les évêques peuvent trembler, car à cette Fédération se rattachent, dit-on, 200 000 instituteurs. C’est un beau chiffre, mais ce n’est qu’un chiffre. Dans le discours auquel nous avons déjà fait quelques emprunts, M. Briand a raconté qu’à sa connaissance, des prêtres, dans les communes, n’avaient pas obéi sans tristesse à certaines injonctions : il est encore plus probable que beaucoup d’instituteurs qui sont des gens simples, modestes, appliqués à leurs devoirs, n’ont pas vu sans tristesse, ni sans confusion, à quelle œuvre on les associait. Si la Fédération des Amicales a 200 000 adhérens, la décision de poursuivre les évêques y a sans doute été prise par un Comité composé de quelques personnes. Mais qu’importe ? La question n’est pas là, elle est dans la prétention des instituteurs, ou du moins de quelques-uns d’entre eux, d’habiter un domaine supérieur où ils échapperaient à toute critique. La critique, elle est partout aujourd’hui ; elle coule à pleins bords, comme on disait autrefois de la démocratie ; elle ne ménage rien, on serait tenté de dire qu’elle ne respecte rien ; nous vivons sous un régime de liberté presque absolue où chacun dit ce qu’il pense sur tout et sur tous. Les instituteurs seuls, gens susceptibles et chatouilleux, seraient-ils exceptés de cette règle générale, et quand on peut avec impunité attaquer nos lois, nos institutions, les personnes qui les représentent, n’y aurait-il de privilège que pour eux ? Faudra-t-il bientôt rétablir à leur profit la loi de lèse-majesté, ou peut-être la loi du sacrilège ? Sont-ils donc intangibles ? On les a un peu habitués à cette idée, en leur annonçant qu’on ferait pour les protéger des lois d’exception que, d’ailleurs, ils n’ont même pas pu attendre. Il est temps qu’ils descendent de l’empyrée où ils planent et qu’ils se remettent au niveau des autres humains. S’ils ne s’y remettent pas eux-mêmes, les tribunaux les y remettront. On peut discuter l’à-propos de la Lettre des évêques, mais elle n’attaque individuellement personne ; elle est