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de l’article premier dans son ensemble, et a posé la question de Cabinet, M. Charles Benoist et M. Sembat ont protesté avec force ; ils ont brûlé, en faveur de la représentation proportionnelle, les dernières cartouches. Le second a reproché à M. le président du Conseil, puisqu’il devait poser la question de Cabinet, de ne l’avoir pas fait plus tôt. Évidemment, cela aurait été plus digne, mais il s’agissait bien de dignité ! La Chambre voulait voter la proportionnelle, et elle voulait en même temps que son vote restât platonique. C’est le fin du fin du gouvernement parlementaire, tel qu’on le pratique aujourd’hui : il y en avait ainsi pour tous les goûts. Résultat : l’ensemble de l’article premier, qui avait été voté en détail, a été repoussé par 291 voix contre 225. Quelle comédie ! Nous doutons qu’elle augmente la considération de la Chambre. Le pays lui reprochera également son premier acte et son dernier. Le premier est le vote des quinze mille et la manière subreptice dont il a été escamoté. Le second est le vote contre la représentation proportionnelle et la manière oblique, détournée, louche, sournoise, mensongère, dont il a été émis. Dieu nous garde de rendre le gouvernement parlementaire responsable des dégradations qu’on lui inflige ! C’est un noble gouvernement, et celui de tous qui offre le plus de garanties à un pays, mais à la condition qu’il y ait des partis constitués, organisés, disciplinés, et que chacun d’eux prenne loyalement la responsabilité de son opinion. De ce gouvernement nous n’avons que la caricature, des partis « effilochés » qui ne tentent rien pour se reformer, une majorité qui se cache pour faire ce qu’elle fait, un gouvernement désireux de bien faire, mais faible, qui s’arrête aux intentions et qui, après les avoir énoncées, s’applique à se les faire pardonner. Ce n’est pas ainsi qu’on marche vers la régénération el le progrès.

Un seul grand exemple a été donné dans cette législature : l’honneur en revient à M. Charles Benoist. Sans lui, il n’aurait pas été sérieusement question de la représentation proportionnelle : lui seul l’a mise en mouvement, en action, a fait campagne pour elle, a organisé à son profit une propagande dont les sceptiques souriaient au début, mais dont on voit aujourd’hui l’effet : l’opinion entraînée ; la Chambre troublée, inquiète, incertaine ; le gouvernement moralement conquis, divisé, hésitant ; l’avenir assuré, autant du moins qu’il peut l’être chez nous. Comment M. Charles Benoist a-t-il fait ces demi-miracles ? En s’adressant à l’opinion ; où sont toutes les forces, et non pas à la Chambre, où sont toutes les faiblesses, et en mettant enfin la Chambre craintive et désorientée en face de l’opinion qui, ayant pris conscience d’elle-même, devient de jour en jour plus exigeante.