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de pieds passent à travers ses bottes. » Cet homme se jette sur le roi, et lui arrache trois dents. Revenu chez lui, le roi appelle ses trois fils, Ur, Arthur, et Lawn Dyarrig, « qui tous trois étaient à l’école, ce jour-là, mais en sont revenus à la tombée du soir. » Après leur avoir raconté son aventure, il demande successivement à chacun d’eux : « Que ferais-tu à mon agresseur, si tu le retrouvais ? » A quoi le fils aîné répond qu’il le ferait écarteler ; et son père lui dit : « Tu es bien mon fils ! » Le second déclare qu’il le brûlerait vif, ce qui lui vaut le même compliment. Enfin Lawn Dyarrig, le troisième fils, se souvenant peut-être de la Cordelia du poète, se borne à répondre : « Si je retrouvais cet homme, je ferais de mon mieux contre lui, et je suis sûr qu’il ne tiendrait pas longtemps contre moi ! » Mais le Lear irlandais, plus exigeant, — et plus stupide, — encore que son glorieux modèle, s’écrie que Lawn Dyarrig n’est pas son fils, et lui signifie d’avoir à disparaître aussitôt.

Le lendemain, les deux frères aînés se mettent en route pour aller voir le monde, sous prétexte de vouloir rapporter les trois dents de leur père. Lawn Dyarrig leur offre de les accompagner, en qualité de domestique ; et ses frères y consentent, le jeune homme les ayant persuadés de l’avantage que la possession d’un valet ne manquerait pas de valoir à leur dignité. Ils arrivent, pour la nuit, chez une vieille femme qui leur apprend que l’homme qu’ils cherchent est le Chevalier Vert de la Vallée Terrible, et leur indique le moyen de l’atteindre. Sur quoi les voyageurs « divisent la nuit en trois parties, dont ils emploient la première à causer, la seconde à se raconter des contes, la troisième à manger, boire, et dormir avec de doux rêves. »

Le Chevalier Vert habite une vallée souterraine ; et les trois frères parviennent enfin à l’entrée du puits qui leur permettra d’y descendre. Le conteur nous les montre alors, avec maints détails d’un naturel exquis, s’occupant à tresser la corde du puits, ainsi qu’un panier où ils s’assoiront. Puis le frère aîné se fait descendre dans la Vallée Terrible : mais à peine y a-t-il jeté un coup d’œil qu’il demande à remonter ; et pareillement fait le second frère, non moins effrayé. C’est donc Lawn Dyarrig qui, seul, ose aborder le domaine du Chevalier Vert, emportant de ses frères la promesse qu’ils attendront à l’orifice du puits, pour le remonter sur un signal donné. Et combien je regrette de ne pouvoir le suivre alors, dans l’étonnante série de ses aventures, depuis l’instant où le voici frappant et assommant, tour à tour, trois cents guerriers avec le cadavre du plus fort d’entre eux, jusqu’à sa tragique rencontre avec le Chevalier Vert, qu’il réussit enfin à tuer après