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ou de s’apprécier l’une l’autre. Car tandis que l’une semble s’efforcer de réduire ses rêves aux proportions de la vie réelle, c’est comme si l’autre s’ingéniait à transformer sa vie en un long rêve léger et charmant, où toutes choses lui apparaîtraient baignées d’une même lumière d’irréalité.

Veut-on toucher du doigt cette différence foncière des deux états d’esprit ? Il y a, dans le recueil gallois de M. Jenkyn Thomas, un conte intitulé Lowri Dafydd gagne une bourse d’or. Cette Lowri Dafydd est une garde-malade galloise : elle vient d’arriver dans la maison d’une cliente, lorsqu’un beau cavalier s’approche d’elle, et lui ordonne de l’accompagner. « Elle monta derrière lui, et les voici allant, comme le vol d’une hirondelle, à travers Cwmllan, descendant parNant yr Aran, et franchissant le Gader jusqu’à Cwm Hafod Ruffydd, avant que la pauvre femme eût même le temps de dire : Oh ! » Enfin le cavalier amène Lowri dans une magnifique maison, « éclairée de lampes comme elle n’en avait jamais vu. » La garde-malade est introduite dans une chambre à coucher, « qui surpassait en luxe et splendeur tout ce qu’elle avait jamais rêvé. » Elle y trouve une dame, la maîtresse de la maison, qui est malade, et attend des soins. Lowri demeure auprès d’elle jusqu’à sa complète guérison ; après quoi, le beau jeune homme lui donne une grande et pesante bourse, « avec ordre de ne point l’ouvrir avant son retour chez elle. » Et puis il commande à un serviteur de la reconduire par le même chemin. « En rentrant chez elle, la garde-malade ouvrit la bourse, et, à sa joie infinie, la trouva pleine d’or. Aussi vécut-elle heureusement de ce gain jusqu’à son dernier jour. » Voilà tout ; et le lecteur, effaré, se demande ce que peut avoir de mémorable une telle aventure, encore que l’illustrateur du conte ait essayé de prêter à celle-ci une couleur moins prosaïque en figurant Lowri et le jeune cavalier emportés dans les airs. Sans doute, l’intention du narrateur ancien était de faire entendre que cette maison où l’on avait conduit la garde-malade était une demeure mystérieuse, peut-être souterraine, ou du moins impossible à retrouver ensuite : mais son récit n’a pas un seul mot qui permette d’attribuer aux événemens l’ombre d’un caractère surnaturel ; et nombreux sont les autres contes du volume qui, de la même façon, ressembleraient plutôt à des faits-divers d’un petit journal. Or, voici maintenant un conte irlandais, le premier qui me tombe sous la main en ouvrant le recueil :

C’est d’abord l’aventure d’un roi qui, étant à la chasse, « rencontre un homme dont la tête passe à travers son bonnet, dont les coudes et les genoux passent à travers ses vêtemens, et dont les doigts