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nul autre genre ne vaille le conte populaire pour nous permettre de saisir au vif l’âme et le cœur d’une race, combien cela est particulièrement vrai de contes populaires de l’espèce de ceux-ci, où le cœur et l’âme du paysan irlandais d’aujourd’hui se livrent à nous sans intermédiaire, — de contes où ce n’est pas seulement le sujet, mais en outre l’ordonnance, le langage, et l’accent de la voix, qui nous sont institués dans leur réalité !


Ou plutôt, je serais tenté de dire qu’il n’y a précisément que cette « forme » des contes, cet appareil d’ornementation ajouté à leurs sujets par la fantaisie des conteurs, qui, dans un grand nombre des récits du recueil, ait de quoi nous renseigner sur les sentimens et le caractère de la race irlandaise. Car la lecture du volume de M. Alfred P. Graves m’a révélé, une fois de plus, un étrange phénomène dont je dois avouer que l’explication me parait des plus difficiles, dans mon ignorance absolue de toutes les découvertes, anciennes ou récentes, de la science du « folklore. » Ayant pris l’habitude, depuis dix ans déjà, de lire à un enfant, année par année, les susdits recueils de contes publiés par M. Andrew Lang, j’avais été frappé de constater la ressemblance extraordinaire, — ou, plus justement, la complète identité, — de sujets qui se trouvaient provenir des races les plus diverses et les plus éloignées. Sans cesse, le Livre Olive, ou le Livre Orange, — car les volumes successifs de la série sont intitulés d’après la nuance de leur couverture, — ramenaient sous mes yeux les mêmes histoires que m’avaient contées, l’hiver précédent, le Livre Violet ou le Livre Vert, encore que les sources où avait puisé M. Lang fussent, tantôt, des mémoires d’explorateurs de la région du Zambèse, ou tantôt des recueils de contes espagnols ou bulgares. Et c’est une déception analogue que m’ont apportée maintenant, à leur tour, les Contes Irlandais de M. Graves. Au moment où j’espérais qu’un paysan de Ballinphuil ou de Connemara allait enfin m’offrir des histoires nouvelles, profondément différentes des sujets que m’avait ressassés la tradition des autres pays, force m’a été de reconnaître que ses leprachauns et ses puckas se conduisaient tout à fait de la même manière que les nains ou follets des contes allemands, russes, ou italiens !

Il y a surtout, ainsi, deux ou trois « schémas » d’aventures fabuleuses qui, reparaissant dans ce recueil, après m’être apparus dans une foule d’autres, me font désormais l’effet de constituer un mystérieux héritage poétique commun à toutes les races de notre humanité. Et plus constante encore, plus invariable et universelle que ces types de