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corps, jeune et beau, en travers de lui. Et tout l’air d’alentour retentissait d’un son bas et très doux, comme si des bardes et des poètes morts eussent murmuré de vieux contes à des héros morts. Et, par-dessus toutes ces voix, l’une d’elles s’élevait, faible et lente, qui était plus douce à entendre que toutes les autres musiques de la terre.

Cette voix était celle de la tête de Donn-bo. Le guerrier se baissa pour la ramasser.

— Ne me touche pas ! dit la tête. Car nous sommes commandés par le roi des plaines du ciel pour divertir, cette nuit, notre seigneur, le roi d’Erin, qui repose là, à côté de nous ; et bien que nous tous, pareillement, gisions ici sans vie, rien ne nous empêchera d’obéir à cet ordre. Ne me dérange pas !

— Mais c’est que les armées de Leinster te demandent, pour leur raconter des contes, comme tu l’as promis hier ! dit le messager.

— Lorsque j’aurai fini ma tâche ici, j’irai avec toi ! dit la tête. Mais ce sera seulement si le Christ fils de Dieu, en présence duquel je suis maintenant, daigne venir avec moi, et si, ensuite, tu me promets de me ramener à mon corps !

— Certes, cela sera fait ! répondit le messager.

Et quand la tête eut cessé de divertir le roi d’Erin, il l’emporta vers les guerriers, qui, en le voyant, s’interrompirent de leur festin, et se groupèrent autour de lui.

— Nous as-tu rapporté quelque chose du champ de bataille ? demandèrent-ils.

— J’ai rapporté la tête de Donn-bo ! dit l’homme.

— Pose-la sur un pilier, afin que nous puissions la voir et l’entendre ! s’écrièrent-ils tous.

Et puis ils dirent :

— Voilà qui n’est pas heureux pour toi, Donn-bo, d’être dans cet état, et toi le plus beau ménestrel et le meilleur en Erin ! Mais à présent, pour l’amour du Christ, amuse les hommes de Leinster comme tu as amusé ton maître tout à l’heure !

Alors Donn-bo tourna son visage contre le mur, afin que les ténèbres fussent autour de lui, et il éleva sa voix dans la nuit tranquille ; et le son de cette voix était si doux et si triste que les guerriers assis pleuraient à l’entendre. Et puis la tête fut ramenée auprès de son corps, et le col se rejoignit aux épaules, et Donn-bo fut enfin admis au repos suprême.

Telle est l’histoire de la Tête parlante de Donn-Do !


Ce besoin de s’entendre raconter des « contes des rois d’Erin, » — ou bien encore d’ingénieuses histoires de leprachauns, qui sont des nains cordonniers, ou de puckas, gnomes à figures de bêtes dont Shakspeare s’est souvenu pour son personnage de Puck, — les compatriotes de Donn-bo ne l’éprouvent pas seulement lorsqu’il s’agit pour eux de combattre ou de mourir : en tout temps, le conte a été et demeure, chez eux, un élément indispensable de la vie quotidienne,