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qui avaient opté pour la rentrée dans le monde attendaient que la Constituante eût fixé leur situation matérielle. La loi portait que les pensions ne seraient payées qu’à la date du 1er janvier 1791. Cette époque une fois atteinte, les moyens d’existence une fois assurés et les mesures prises par la Constituante étant de plus en plus pressantes, les départs se précipitent. Il ne restera plus en France que les très rares couvens, comptant au moins vingt religieux soit anciens, soit nouvellement réunis pour obéir à la loi. Bientôt la Législative, par le décret du 4 août 1792, se chargera de disperser ces débris et de vider complètement les monastères.

Voilà les moines dehors. Où vont-ils ? Parmi eux, ceux qui persévérèrent dans l’état ecclésiastique entrèrent en masse dans le clergé constitutionnel, qui eût été dans l’impossibilité de se recruter et de desservir les paroisses sans leur concours. On comptera beaucoup de religieux dans les sociétés départementales et communales, dans les clubs populaires qui pullulent sur toute la France.

Heureusement, une minorité fidèle offrait d’autres exemples. Plusieurs religieux, victimes expiatoires, moururent sur les échafauds pour leur foi. Beaucoup, après le départ forcé de leurs couvens, vécurent dignement dans le silence. Avant l’époque de la Terreur, on en vit même se grouper librement et, à défaut de monastère, se choisir une solitude pour y finir en paix, dans la prière, une douce intimité, des conversations saintes et le souvenir du passé. Quelques moines de la fameuse abbaye de Morimond essayèrent de garder la vie commune dans une campagne retirée. Quand la tourmente révolutionnaire fut calmée, on vit l’un d’eux, l’ancien prieur Dom Guérin, hanté par les vieux souvenirs et pris de la nostalgie de la vie religieuse, venir pleurer, nouveau Jérémie, sur les ruines de sa Jérusalem, élever une cabane sur l’emplacement même de l’ancien monastère, y réciter l’office cistercien, y dresser un autel rustique pour la célébration de la messe. On l’apercevait, le soir, errant comme une ombre mystérieuse à travers les décombres de l’abbaye, à genoux sur l’emplacement même de sa cellule et de sa stalle détruites, paraissant ainsi célébrer, en quelque sorte, les funérailles de Morimond et garder son tombeau.

Dans le diocèse de Laon, quand fut fermée l’abbaye de Cuissy, quelques Prémontrés fidèles se réunirent autour de leur