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monastères désignés pour recevoir les débris d’autres couvens fermer leur porte en voyant apparaître les porteurs de costumes et de règles qui semblaient être une menace pour les leurs. A Paris, les Dominicains de la rue du Bac s’étaient même prononcés contre l’admission des membres de leur ordre appartenant à d’autres maisons : on ne tint pas compte de leur répugnance. Dans quelques diocèses, des religieux eurent le courage d’accepter la promiscuité, de se réunir et de nommer un supérieur pour continuer la vie commune. Mais ce fut la petite exception.

Nous voyons dès lors fondre et se dépeupler les congrégations monastiques. A ceux qui auraient gardé leur état, d’un côté, on a fait entrevoir, outre la défaveur des pouvoirs publics, le pêle-mêle d’un couvent nouveau genre, d’invention laïque, où tous les instituts, toutes les règles, tous les costumes formeront une bigarrure étrange. De l’autre, s’ils rentrent dans le siècle, ils retrouvent la liberté, une bonne pension qui assure leur vieillesse et qui est toujours bonne à prendre. Pour rassurer leur conscience, ne seront-ils point tentés de répéter le mot du Génovéfain Pingré : « Ce n’est pas nous qui quittons notre étal, c’est notre état qui nous quitte ? »

Plus résolus, plus fermement attachés à leur vocation, ils auraient déclaré hautement leur volonté d’y persévérer ; ils auraient même subi pour un temps la fusion avec d’autres ordres, attendant les réparations de l’avenir. Ils n’eurent pas cet héroïsme. C’est que pour beaucoup la visite des enquêteurs, qui aurait dû avoir la signification douloureuse du Frère, il faut mourir, fut plutôt comprise dans le sens de Frère, il faut vivre. Ils veulent vivre, vivre dans le monde. Le mot de liberté est revenu fréquemment dans leurs déclarations. Les voilà qui franchissent le seuil, les voilà au grand air, les voilà libres et dans la patrie. Les cloîtres déjà si silencieux, si éprouvés par le manque de vocations dans l’ancien régime, se vident encore et, constatation triste, les rares religieux qui restent regardent parfois comme un soulagement, « cette évacuation salutaire, » ce départ de confrères dont la tenue et les impatiences séculières n’avaient déjà plus rien de monacal.

Il est à remarquer cependant que cet exode de religieux ne commença guère qu’à partir de 1791. Les couvens demeurèrent à peu près au complet jusqu’à la fin de 1790. Ceux qui avaient déclaré l’intention de rester ne pouvaient se hâter de sortir, ceux