dans une pétition dont les paroles enflammées contrastent avec l’obéissance passive, l’inertie de tant de moines. Tandis que les étudians Dominicains de Bordeaux soupirent après le retour dans le monde, et écrivent à la Constituante qu’ils attendent d’elle avec impatience « l’entrée la plus triomphante dans le temple de la félicité, où nous bénirons à jamais, disent-ils, les sauveurs de la patrie, » ceux de Saint-Jacques signent une adresse toute frémissante d’enthousiasme pour leur vocation et pour leur institut.
Il n’était pas possible que, dans cette vaste enquête où chaque Ordre venait dire son avis et plaider sa cause, les religieux les plus anciens, les plus illustres de France, les Bénédictins, gardassent le silence. Mais que pouvaient-ils dire ? Raconter leur histoire, leurs services et la ferveur d’antan, n’était-ce point demander au passé un contraste avec le présent ? Ils font cependant entendre ça et là un langage où l’on croit reconnaître la voix des ancêtres. Du fond de la Champagne, les Bénédictins de l’abbaye de Moutiers la Celle-les-Troyes expriment en ces termes leurs angoisses : « Déchirés d’inquiétude, incertains et consternés, nous avons de la peine à nous persuader que les personnes les plus éclairées de la nation, qui travaillent à rendre à la France sa splendeur, et à procurer à tous les citoyens la prospérité la plus grande, veuillent frapper d’anathème les sociétés religieuses, et lancer un édit de proscription contre des corps qui ont toujours été dévoués au bien général de l’Etat. Nous nous persuadons aisément que quelques jeunes religieux, dans le délire de l’âge, dans le feu des passions et par séduction, désirent la dissolution d’un état qu’ils ont embrassé. Mais les sollicitations du petit nombre doivent-elles l’emporter sur la réclamation du plus grand ? » C’était bien parler. Mais un tel accent dépassait de beaucoup les sentimens de la masse des Bénédictins. Parmi eux, les Bernardins passaient pour les moines les plus dégénérés de France. La visite que nous avons faite à Cîteaux, à Clairvaux, ne nous a pas édifiés. Les Clunistes, à en juger par l’état d’esprit que nous avons rencontré à leur maison mère, l’illustre abbaye de Cluny, et aussi par le dépérissement de l’ordre qui en vingt ans venait de perdre plus de la moitié de ses membres, — il est vrai qu’on leur avait défendu de recevoir des novices, — n’étaient pas non plus qualifiés pour vanter leur ferveur, ni leur fidélité aux traditions de saint Hugues et de Pierre le Vénérable.