Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mendicité, pouvait-il la tolérer chez des prêtres et des moines ? En 1789, les cahiers des trois ordres, ceux du clergé lui-même, se sont prononcés contre la quête des religieux mendians. Le tiers-état de Mantes a dicté d’avance par ces paroles la sentence de la Révolution : « Tout corps parasite doit être écarté d’une société bien réglée. » Les Capucins comprennent cet état de l’esprit public et la gravité de la situation. L’un d’eux, dans sa correspondance, avoue succomber sous les « traits du mépris, de l’insulte, des sarcasmes amers, des injures atroces auxquels l’expose son état de mendicité. » Un autre allant plus loin paraît avoir abandonné toute confiance dans l’avenir et la reviviscence de son ordre. Il laisse tomber de sa plume ces paroles qui sont comme un cri de désespoir et un glas funèbre : « Nous avons perdu l’espérance de nous régénérer, et un corps dans ce cas-là doit être anéanti. »

Anéantis, les Capucins vont l’être comme leurs confrères, et il semble qu’il soit plus facile d’abattre une institution qui paraît s’abandonner elle-même. Cependant, de tous les religieux, les Capucins furent peut-être les plus regrettés. Les pétitions, si rares pour les autres ordres, arrivent de bien des côtés à l’Assemblée nationale en faveur des disciples de saint François. Çà et là, on leur fait même l’honneur de craindre les incidens que peut susciter leur expulsion, et de redouter une émeute de la foule. Pour calmer cette opposition, on cherche à les discréditer ; on lance contre eux des pamphlets où est persiflée « la divine besace. » Bien que plus populaires, ils seront condamnés à partir comme leurs confrères, sans que leur disparition ait soulevé de grands mouvemens. Une fois sortis de leurs couvens, les différens membres auront les destinées les plus diverses. Comme l’a observé l’historien de l’Église de Besançon sous la Révolution, il régnait chez les Capucins une assez grande liberté d’allure pour que se dessinassent parmi eux des physionomies très dissemblables. « Des âmes très pieuses s’y trouvaient mêlées, sans rien perdre de leur sérénité, à un„ cor-tain nombre de natures bohémiennes que le côté plébéien, précaire et aventureux de la vie des Capucins avait souvent séduites, et qu’une Révolution pouvait transformer à peu de frais en tribuns débraillés ou en prêtres de la liberté. Aussi vit-on sortir à la fois de la plupart de leurs couvens, des saints et des cyniques, des martyrs et des gueux. »