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d’achever de mourir dans notre monastère. Ceux qui ne connaissent pas les douceurs de notre état, cachées sous l’apparence d’une vie austère, pourraient vous persuader que nous gémissons sous le poids des chaînes qui nous attachent, malgré nous, au service de Dieu, et qu’enfin nous ne sommes pas libres. Mais ils vous tromperaient. En effet, c’est bien volontairement, et sous la protection des lois que nous avons fait le sacrifice d’une liberté que nous avons crue dangereuse pour notre salut. C’est au tourbillon du monde et à l’esclavage des passions que nous nous sommes dérobés, pour vivre dans le calme de la solitude et dans la pratique des vertus évangéliques. Laissez-nous jouir, le reste de nos jours, de ce calme que nous aimons, et de ce bonheur que nous goûtons… Nous nous glorifions d’avoir pour fondateur saint Louis… C’est de la bienfaisance de ce pieux monarque que nous tenons l’emplacement où notre maison est située. En établissant si près de Paris une chartreuse, l’intention de ce prince religieux avait été d’en faire un spectacle permanent d’édification publique. C’est dans ce lieu qu’une infinité de saints religieux ont passé leur vie à prier, à lever au ciel des mains pures, pour la conservation de l’État, et à pratiquer, dans leurs cellules, des vertus paisibles, inconnues au monde. C’est là qu’ils sont morts : c’est là que nous voulons mourir. Ce lieu est notre patrie ; nous l’avons adoptée, sous la garantie de la loi. Nous vous conjurons, au nom de Dieu tout-puissant, qui éclaire vos actions, de nous épargner le trouble et les embarras d’une translation, qui serait pour nous un exil affreux ; nous ne l’avons pas mérité. Ne nous forcez donc pas à un tel sacrifice, qui nous rendrait malheureux et qui nous conduirait bien vite au tombeau.


Une même ferveur rapproche les Trappistes des Chartreux. La maison qu’avait réformée et illustrée l’abbé de Rancé au XVIIe siècle, à quelques lieues de Mortagne, comptait 53 religieux en 1790. Interrogés, quarante-deux déclarèrent vouloir mourir dans leur monastère, sous l’étroite observance ; les onze autres, sans renoncer au cloître, se réservèrent de faire connaître leurs intentions. Le procès-verbal leur rendit hommage en ces termes :


À l’exception de cinq ou six moines qui nous ont paru d’un sens très borné, les religieux de chœur ont en général un caractère énergique et prononcé, que les jeûnes et les austérités n’ont point affaibli. La religion remplit leur âme tout entière. Chez quelques-uns, et ils sont faciles à reconnaître par les expressions de leurs déclarations, la piété est portée au suprême degré de l’enthousiasme. Les autres, en très grand nombre, sont pénétrés d’un sentiment de piété plus calme et plus touchant. Ceux-là nous ont paru aimer leur état du fond du cœur et y trouver une tranquillité, une sorte de quiétude qui, en effet, doit avoir ses charmes.


Qui entendre après les Chartreux et les Trappistes ? Ne soyons pas trop exigeais ; saluons au passage les déclarations