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l’indépendance que donne l’argent, c’est prendre une assurance contre la pauvreté ; c’est donc une dérogation, un manquement à ce vœu. On est un peu surpris d’entendre les Ordres mendians discuter dans cette circonstance solennelle non le principe, mais la quotité de la pension. La Constituante leur avait voté un chiffre moindre qu’aux religieux rentes. Ils s’en plaignent. Cordeliers, Minimes, Augustins, Dominicains, apportent un argument typique pour prouver qu’ils ne sont pas mendians, c’est le total très respectable des milliers de livres de revenu dont ils ont fait déclaration à l’enquête de 1790. L’instinct de la propriété est tel qu’à la longue il fait fléchir les inspirations primitives et les engagemens les plus solennels. Un léger changement à la règle et aux statuts met en paix les consciences et accommode les affaires humaines. Malheureusement, ces ordres religieux, en établissant par des chiffres qu’ils n’étaient pas mendians, qu’ils avaient de bonnes rentes, prouvaient d’autant mieux qu’ils n’étaient pas restés fidèles à l’esprit de leur institut, et indiquaient une des causes les plus graves de leur décadence. Dans la circonstance, il eût été plus fier, plus digne de leur glorieux passé, de maintenir le débat à la hauteur des principes et de parler plus de pauvreté que de bien-être.

On le voit, le vœu de pauvreté est en train de succomber. Le vœu d’obéissance va être atteint à son tour par la liberté reconquise. Liberté : ce mot magique ne retentit pas seulement dans les écrits publics et à la tribune de la Constituante ; il est murmuré dans l’intérieur des cloîtres. Tout à l’heure, les religieux de Saint-Martin-des-Champs, en discutant le chiffre de la pension, parlaient aussi de la liberté dont l’indépendance financière est souvent une condition. Entendons encore le même cri : « Je soussigné, demande la liberté… Je soussigné, religieux minime, déclare vouloir profiter des avantages de la liberté… Nous soussignés, Carmes déchaussés de la ville d’Abbeville, déclarons vouloir quitter la vie commune et profiter de la liberté el du traitement ! » Ces formules reviennent assez fréquemment dans les déclarations des religieux. Elles sont parfois accompagnées de récriminations contre le passé. Un Cistercien remercie la Constituante d’avoir aboli « un régime féodal écrasant pour les subalternes. » Un ancien Bénédictin de Saint-Maur, à la fin de la Révolution, raconte sa vie. Il avoue qu’à l’user, il avait trouvé les engagemens contractés au-dessus de ses forces : Tanto oneri