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constituent-ils un document unique et singulièrement révélateur de l’âme monastique à cette époque. Les officiers envoyés par la Constituante trouveront un grand contraste entre les couvens d’hommes et les couvens de femmes. Tandis que ces derniers sont très peuplés, les premiers d’ailleurs nombreux sont presque déserts, ce qui est un grand obstacle à la ferveur et à l’observance de la règle. Aussi, quelle différence dans le langage que les deux sexes vont tenir aux enquêteurs ! Les religieuses, nous le verrons, furent admirables. Elles adressèrent aux inquisiteurs laïques des réponses vibrantes, des paroles sublimes qui nous remuent encore lorsque, en fouillant le passé, nous les entendons sortir tout à coup de la poussière où elles dorment depuis un siècle. Les religieux furent moins fermes, et ce n’est pas sans quelque déception qu’on les voit en majorité accueillir avec joie, parfois avec transport, les décrets qui leur ouvrent la porte du cloître.

Au demeurant, c’est toujours soumettre les hommes à une épreuve que de leur demander s’ils sont contens de leur situation, s’ils sont satisfaits de leur vie, que de les inviter à en changer, à la recommencer sous d’autres auspices, à l’engager dans d’autres voies. Il en est si peu qui puissent se vanter d’avoir rencontré le bonheur, ni même l’emploi de toutes leurs facultés ! Et lorsque cet appel à la liberté, à la rupture de chaînes que l’expérience a peut-être trouvé lourdes, est une invite à participer au renouveau, à l’enivrement qui poussent toute une nation d’une impulsion irrésistible vers des rivages enchantés ; quand on paraît appartenir à une institution vieillie, démodée, sur laquelle se déversent chaque jour le mépris et l’injure ; quand on est à la fois condamné par l’opinion et par la loi, et qu’on n’a à opposer aux sollicitations et aux attaques qu’une âme alanguie, comment n’être pas tenté de s’affranchir, de se rajeunir, de prendre sa part de l’émancipation commune et des destinées nouvelles ? Les moines ne cédèrent que trop à cette tentation.


III

A tout seigneur, tout honneur. Entrons tout d’abord, avec l’humble municipalité de Nuits, dans l’une des plus illustres maisons de la chrétienté, dans la fameuse abbaye de Cîteaux. Le premier mai 1790, à dix heures et demie du matin, les