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vingt ans plus tard par Trébutien en appendice aux œuvres de son frère. Il persiste à se taire. « Rien ne peut expliquer ce silence, écrit en juillet Mlle de Guérin à un autre ami de Maurice, demeuré plus fidèle au souvenir de l’écrivain disparu, sinon la mort de M. d’Aurevilly. » Mais voici qui est plus sévère et qui renie les complaisances passées : « Quoique je n’aie pas plus goûté que M. Quemper certaines façons de penser de M. d’Aurevilly, j’ai eu confiance en ses paroles. Je crois plutôt à sa mort. » Et cette incertitude montre à quel point toutes ses relations parisiennes sont désormais rompues !

Elle apprend qu’il vit cependant et elle soupire alors : « Incompréhensible conduite, je ne la juge pas, mais j’en souffre. J’avais compté sur les plus nobles promesses : je m’attendais à cette publication (des écrits de Maurice) comme au lever du soleil, et tout demeure sans effet sans que je sache pourquoi ; ceci n’est plus supportable ! » À ce Quemper qu’elle sait en relations directes avec d’Aurevilly, elle écrit en 1843 : « Il n’y songe plus sans doute. Je ne m’explique pas cette conduite, et je ne m’exprimerai pas non plus sur cet ami de mon frère. Tout ce que je dirai, c’est que je veux absolument reprendre ces chers manuscrits. » Et, en 1845, elle conclut : « Rien n’explique le silence de celui qui s’en était chargé si exclusivement. Oh ! que le monde est plein d’inexplicables choses ! » N’avait-elle pas, dès le 2 novembre 1842, fête des Morts et jour natal de l’ami infidèle, noté sur le Memorandum même qu’elle rédigeait pour lui, avec quel élan de cœur ! « Hélas ! tout meurt : où est celui pour qui j’écrivais les lignes précédentes la précédente année. Où est-il ? »

De ce silence inqualifiable, de l’échec de ses espérances au sujet des œuvres de Maurice, Trébutien dira nettement qu’Eugénie est morte : « Lorsque cette dernière illusion lui échappa, elle sentit que ses forces l’abandonnaient aussi ; elle cessa d’écrire : elle allait cesser de vivre ! » Et Barbey lui-même, rédigeant la préface des Reliquiæ, enveloppe dans une image aux couleurs crues le demi-aveu de sa faute : « Des circonstances inutiles à rappeler suspendirent et semblèrent définitivement arrêter la publication. Dieu lui ôta donc sa suprême espérance, et ce fut, dans l’ordre des douleurs de cette âme, quelque chose de pareil à la séparation, avec le couteau, du fil de chair saignante qui relie au tronc la tête coupée par la hache. Le fruit