Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’âme d’Eugénie tout entière avec ses furtives complaisances d’artiste née et ses fermes résistances de chrétienne, disciple de François de Sales. Certes, le monde l’a attachée, captivée par tout ce qu’il offrait de nouveau aux méditations de son pénétrant esprit, mais il n’a nullement « grisé » ce cerveau robuste, qui ne cessa jamais d’abriter une volonté en possession de son sang-froid.

Que nous apprend d’autre part le dernier Memorandum d’Eugénie sur ses relations avec Barbey d’Aurevilly ? La dédicace en est chaleureuse, à coup sûr, presque autant que celles dont le Journal du Cayla nous a donné précédemment la surprise : « Vous voulez que j’écrive mes impressions, que je revienne à l’habitude de retracer mes journées : pensée tardive, mon ami, et néanmoins écoutée. Le voilà, ce mémorandum désiré, ce de moi à vous dans le monde comme vous l’avez eu au Cayla : charmante ligne d’intimité, sentier des bois mené jusqu’à Paris. Mais je n’irai pas loin dans le peu de jours qui me restent. » Nous rencontrons encore des témoignages d’admiration affectueuse, corrigés d’ailleurs par des réserves nécessaires : « Le grand X…, vis-à-vis de vous, vous a trouvé bien aimable : vous étiez en verve ce soir, mais plus ou moins votre conversation abonde d’esprit, d’éclat, de mouvement. Elle monte, s’étend se joue dans mille formes, magnifique feu d’artifices. — Le beau parleur, a dit ce grand monsieur, en saluant la baronne qui a confirmé d’un sourire, ajoutant : — Ne croyez pas qu’il pense tout ce qu’il dit. C’était sans doute au sujet de saint Paul et pour écarter le soupçon d’hérésie que vous avez encouru en discourant mondainement sur cet apôtre. Que je voudrais aussi ne pas vous croire ! »

C’est en effet, dans ces relations d’intimité confiante, la pierre d’achoppement que l’incrédulité de Jules, souci incessant de sa pieuse amie. Combien elle aimerait à se faire illusion sur ce point ! « Qu’alliez-vous faire dimanche à Saint-Roch ? Etait-ce aussi pour vous y reposer ? On a fait bien des investigations là-dessus : peine perdue ! Que découvrir sur l’incompréhensible ? Dieu seul vous connaît. Oui, vous êtes un palais labyrinthe, un dérouteur, et, sans ce côté qui vous liait à Maurice et où luit pour moi la lumière dans les ténèbres, je ne vous connaîtrais pas non plus : vous me feriez peur. Et cependant, vous avez l’âme belle et bonne, honnête, dévouée, fidèle jusqu’à la mort,