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que nous attendons arrive, je sortirai un peu avec elle qui connaît Paris comme sa chambre et qui aime à courir comme une alouette. » — Sophie vint en effet, reçut vraisemblablement comme Eugénie l’hospitalité de l’hôtel de Maistre et il est fort probable que nous devons la reconnaître dans cette charmante amie dont le dernier Memorandum d’Eugénie vante, en ces termes, la séduction irrésistible : « La Charmante m’a dit : Nous causerons demain ; ce qui promet d’intimes confidences. Quand les sources d’émotion ont coulé, quand le cœur est plein, c’est sa façon d’en annoncer l’ouverture. Nous causerons demain. Nous nous embrassons là-dessus : chacune va à son sommeil, et je ne sais si on attend le jour pour causer. Une tête agitée fait bien des révélations à son oreiller ! »

Barbey de son côté entretient Trébutien à plusieurs reprises de Mlle de R… et parfois en termes peu parlementaires, suivant sa coutume. Il la pose tout d’abord en 1845, — un peu plus de trois ans après la crise de 1841, — comme une personne qui le déteste, et qui « tombe asphyxiée dès qu’il met le pied dans un salon où elle est, et dit de lui des horreurs à rendre les ongles bleus en les écoutant. » Il ajoute que les causes de cette attitude sont tout un roman qui n’est pas écrit, et, très probablement, ce roman n’est autre que la crise dont il hésite à fournir à Trébutien le récit. Mais, cinq ans plus tard, le temps ayant fait son œuvre, il se montre beaucoup moins ironique à l’égard de l’ancienne amie d’Eugénie : « Nos seigneuries sont très bien ensemble après avoir été longtemps à faire ce qu’on appelle du commerce armé ! » Il indique encore à Trébutien que Mlle de R… est la Sophie de Révistal qui figure dans le Dessous de cartes d’une partie de whist, ce chapitre des Diaboliques publié dès cette époque. La baronne, de Mascranny, qui apparaît dans le même récit « éternellement couchée comme Cléopâtre sur un lit de repos, » est évidemment la baronne de Maistre. Sophie de Révistal nous montre « un grand œil brun baigné de lumière qui est humide encore, quoiqu’il ait pourtant diablement brillé. » C’est elle qui prononce à la fin du conte cet aphorisme ingénieux : « Ah ! il en est également de la musique et de la vie : ce qui fait l’expression de l’une et de l’autre, ce sont les silences bien plus que les accords. »

Enfin, à la mort de Mlle de R…, survenue en 1854, Barbey l’appelle la fameuse Sophie de R… et écrit qu’elle a fermé des yeux