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I

Les Lettres à Trébutien nous renseignent en effet sur le seul épisode qui ait interrompu dans son cours uniforme l’existence austère d’Eugénie de Guérin : sur son amitié avec Mme de Maistre et les deux séjours à Paris qui furent la conséquence de cette relation imprévue On sait que Maurice de Guérin, s’étant particulièrement lié avec un camarade d’études, Adrien de Sainte-Marie, entra bientôt en relations avec la sœur de ce jeune homme, la baronne Marie de Maistre. D’Aurevilly assure même qu’après avoir soupiré pour Mlle Louise de Bayne, la confidente intime d’Eugénie, Maurice voua plus tard un amour respectueux et distant à Mme de Maistre, qui, dans les affections de sa sœur, allait devenir également rivale de la gracieuse Louise : « Il n’y a, écrit Barbey à propos de la baronne, qu’une manière de louer ces yeux-là, c’est de vous dire qu’ils ont, pendant quelque temps, fait rêver un homme qui ne voyait guère que l’œil du monde, Maurice de Guérin : il a cru les aimer. » Il ajoute ailleurs que le poète du Centaure définissait la dame de ses pensées : « une herbe haute tremblant dans la lumière, » allusion peut-être à la frêle santé de la baronne.

Maurice avait sans doute lu à Mme de Maistre, comme à la plupart de ses amis intimes, quelques pages du Journal de sa sœur : or cette lecture exerçait une irrésistible séduction sur les connaisseurs, puisque Barbey, initié de la sorte, écrivit aussitôt dans son Memorandum de 1838[1] : « Quelle distinction d’esprit, quelle noble fille !… talent qui ne se doute pas de lui-même naturel, chef-d’œuvre de perfection ! » La brillante Parisienne entra peu après en relations directes avec la solitaire du Cayla pour lui demander des nouvelles de son frère, revenu quelques semaines au pays natal, afin d’y guérir une première atteinte de son mal implacable. Presque aussitôt l’amitié se noue entre les deux femmes, car la seconde lettre d’Eugénie renferme déjà cette phrase significative : « Je vous écrirai tous les jours puisque mes paroles vous font du bien, ma chère Marie ! »

Arrêtons-nous donc un instant, afin de présenter au lecteur

  1. Premier Memorandum, p. 280.