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compte, les États qui fournissent les subventions finissent par dicter leurs volontés. Parmi les États de l’Allemagne, le grand-duché de Bade s’était vivement intéressé, dès l’origine, au projet de traversée des Alpes ; mais ce fut la Confédération de l’Allemagne du Nord, guidée par le cerveau pratique et perspicace de Bismarck, qui, en apportant sa subvention de 20 millions et en se liant avec l’Italie qui en fournissait 45, fit pencher définitivement la balance, — sous le poids de l’or, — en faveur du Gothard.

Le grand tunnel transalpin n’était plus un projet suisse, ni intercantonal, ni même fédéral ; il devenait à la lettre, comme l’avaient voulu ses promoteurs, un projet international, répondant aux visées politiques grandissantes des jeunes nationalités en voie d’élaboration et de conquête.

La question étant ainsi posée, les projets grisons étaient voués à un échec certain ; car les routes transalpines des Grisons n’ouvraient pas de communications directes entre l’Italie et les contrées de l’Allemagne septentrionale ; elles reliaient plutôt l’Autriche à ses anciens domaines politiques, la Lombardie et la Vénétie. L’Italie naissante et l’Allemagne naissante ne pouvaient songer à s’unir qu’en dehors de l’Autriche, et nous dirions presque contre l’Autriche ; il fallait donc fuir les parages du lac de Constance et de la haute vallée du Rhin. La faveur que suscitaient les ardentes ambitions nationales du Nord et du Sud devait fatalement faire du Gothard la ligne d’élection. Elle fut, et resta la grande voie germano-italo-suisse.

Des contrées si disparates, mises en relation par une route courte et facile, multiplièrent entre elles les échanges pour le plus grand profit de la Compagnie concessionnaire du nouveau chemin de fer. Dès l’exercice de 1883, le nombre des kilomètres parcourus par les voyageurs s’était élevé à plus de 55 millions, et, vingt-cinq ans après, il avait triplé ; le nombre des marchandises-kilomètres avait atteint, dès 1883, 75 millions et vingt-cinq ans après il s’était encore accru de 100 millions. Ce sont là les expressions numériques d’une prospérité qui avait outrepassé les espérances les plus optimistes. De leur côté, tous les cantons suisses, dits « Gothardistes, » avaient bénéficié du Gothard, et Zurich était devenu une grande place commerciale, de par l’immédiate influence du très puissant mouvement d’affaires entre l’Allemagne et l’Italie.