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séparés que par une même masse montagneuse qui a mérité à ce titre le nom « de Château d’eau » de l’Europe. Au massif du Gothard on peut parvenir directement du Nord par la vallée de la Reuss et directement du Sud par la vallée du Tessin, position unique qui est inscrite dans la géographie physique, et qui s’est tout naturellement révélée dans la géographie humaine.

Pour passer du versant Nord des Alpes suisses jusqu’au versant méditerranéen, il y a et il n’y aura jamais que trois ordres de solutions : ou bien franchir le Gothard, ou bien profiter de l’un ou de l’autre des admirables sillons de pénétration qui sont la haute vallée du Rhône et la haute vallée du Rhin ; ces deux derniers chemins, jalonnés des centres historiques de vieille installation humaine du canton du Valais (Rhône supérieur) et du canton des Grisons (Rhin supérieur), se trouvent allongés par l’angle droit que font les cours d’eau et que les routes doivent suivre ; l’angle de Martigny est presque limitrophe de la France ; celui de Coire l’est de l’Autriche. Aussi les préférences de toute la Suisse centrale sont-elles allées à la voie de la Reuss et du Gothard, à la voie centrale, à celle qui traverse les cantons primitifs de la Confédération elle-même. Au point de vue du rayonnement de la Suisse et de ses relations avec les Etats voisins, on devine au contraire l’importance des passages alpins valaisans ou grisons.

Les trois vieilles Ligues du Rhin ont dû leur rôle historique à ces cols transalpins qui sont le Septimer, le Splügen, le Saint-Bernardin et le Lukmanier. Au milieu du siècle dernier, les Grisons ont consacré 10 millions, — somme énorme pour ce petit peuple actif, mais pauvre, — à refaire ou à construire un magnifique réseau de routes. Le pays des Grisons, historiquement et géographiquement, ce sont des routes. Aussi bien, ce sont les Grisons qui ont les premiers mené des négociations pour établir un chemin de fer à travers les Alpes, du lac Majeur au lac de Constance. C’était en 1845 que les trois cantons de Saint-Gall, des Grisons et du Tessin conclurent un premier traité auquel ils donnèrent comme suite une convention avec le royaume de Sardaigne : il s’agissait alors d’un projet de voie ferrée et de tunnel par le col du Lukmanier. En 1852, les Chambres fédérales votent la loi sur les chemins de fer qui laisse à l’industrie privée la construction des voies nouvelles et qui établit sous la forme de compromis assez vagues les principes des négociations des