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demain, mais des prudens et des sages chez qui les inquiétudes de l’heure présente se tournent en hésitations ; et ils retrouvent, plus éloquens que jamais, tous les défenseurs des tunnels rivaux ; ils entendent, unis au service de la même cause, Ruchonnet et Carteret, deux hommes de premier rang qui seront durant de longues années les chefs politiques de leurs cantons respectifs (Vaud et Genève). Après cinq heures de discussion, la proposition d’ajournement est repoussée par 65 voix contre 42. Le sort en est jeté. Dans les séances qui suivent, et où l’on aborde le fond du débat, les députés Saint-Gallois, Grisons ou Vaudois se battent pour l’honneur ; mais tous comprennent et savent que le Gothard est chose résolue, que le Gothard se fera.

Il s’est fait. On connaît l’histoire de la construction, et les déboires de l’entreprise. Les 85 millions fournis par les subventions des Etats contractans (Suisse, 20 millions représentant la part contributive des cantons et compagnies de l’Union du Gothard ; Italie, 45 millions ; Confédération de l’Allemagne du Nord, 20 millions), ainsi que les 102 millions de la Compagnie concessionnaire, en tout 187 millions ne devaient pas suffire.

« M. de Bismarck avait fait sien le projet du Gothard. On fit faire, par les ingénieurs Beckh et Gerwig, à une échelle manifestement insuffisante, 1 : 10000, un levé préliminaire, qui dissimulait les difficultés, surtout dans les rampes d’accès, et qui permit d’abaisser la dépense prévue à 187 millions, sur lesquels les Etats allemands s’engagèrent pour une part. Quelques années plus tard, quand les études définitives, avec levé à 1 : 1 000, furent achevées, on se trouva en présence d’une dépense totale de 290 millions, 103 millions de plus que les chiffres prévus, soit 100 pour 100 pour les lignes d’accès, 40 pour 100 pour le coût total.

« Mais ce qu’avait prévu M. de Bismarck arriva ; les dépenses étaient engagées, on ne pouvait reculer, on creusa quand même. C’est ainsi que le Gothard se fit, de par la volonté et à la gloire du Chancelier, qui, par ce coup de surprise, avait eu son tunnel, comme par la dépêche d’Ems il avait eu sa guerre[1].  »

Il convenait avant tout de rappeler ce caractère

  1. Paul Girardin, l’Ouverture du Simplon et les intérêts français dans les Questions diplomatiques et coloniales, VIII, 1er déc. 1904, p. 107. En fin de compte, les subventions globales de l’Italie et de l’Allemagne furent respectivement de 8 millions et de 30 millions.