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morale et l’identité du sujet. Mais la croyance à cette continuité et à cette identité est trop enracinée chez moi pour céder devant de simples apparences. M. Zangwill a substitué à son vague et lointain idéal un but prochain. Il prononce des discours au lieu d’écrire des récits romanesques. Il a changé de métier : il ne saurait avoir changé de nature et d’âme. A sa peur d’être éloquent, au soin avec lequel il refuse l’essor à sa puissante imagination pour s’attacher aux faits et aux chiffres, je devine que les dons de sa jeunesse sont toujours en lui, mais qu’il n’en veut pas user. Quelquefois, mais rarement, il donne carrière à son ironie. Mais sa prétention justifiée, sa coquetterie, c’est d’être un orateur d’affaires, un pur debater, et d’éviter cette rhétorique, ces gros et grands mots qui fournissent des péroraisons émouvantes à un manufacturier enrichi, lorsqu’il veut entrer au parlement, ou à un jeune scholar d’Oxford nourri dans les débats des parlotes universitaires. Cependant lorsque je lis l’une après l’autre les trois harangues qu’il a prononcées cette année, à Londres et à Leeds (10 mai, 16 juin, juillet 1909), je remarque une progression dans l’ampleur oratoire, comme si la fièvre de ces vastes auditoires en qui frémissent les émotions les plus profondes de l’a me humaine remontait vers l’orateur et enflammait, malgré lui, sa parole.

M. Zangwill a cherché encore le succès sous une autre forme ; j’entends le succès pour sa cause et pour ses idées. Il a abordé le théâtre, poussé d’abord par le désir qui vient si souvent aux conteurs contemporains de transformer leurs romans en pièces de théâtre. Plus récemment il a considéré la scène comme un moyen de propagande et de discussion plus prompt et plus actif que le volume. Il a donc traité la question juive dans des drames ou des comédies : je ne saurais dire lequel, car ces pièces n’ont pas été encore imprimées et n’ont été jouées qu’en Amérique. Chicago et New-York les ont écoutées avec beaucoup d’intérêt et même de faveur. Quand les verrons-nous à Londres ? On ne croit pas le public londonien assez affranchi de préjugés pour entendre ces choses dans la disposition d’esprit nécessaire.

Lorsque s’est tenu à Londres, au mois de juillet, le congrès international de l’Ito, M. Zangwill a déposé les pouvoirs présidentiels qui lui avaient été conférés à la mort du docteur Hertzl. Il ne voulait pas, disait-il, que ses ennemis devinssent les adversaires de l’institution, ni que sa personne fût un obstacle à la