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avant d’être un métier plus que rémunérateur. M. Zangwill a eu soin de rejeter les événemens assez loin en arrière dans le XIXe siècle pour éviter la malveillante curiosité qui veut toujours voir un roman à clef dans une satire sociale. Le livre a été écrit avec soin et porte, en toutes ses parties, des marques de talent. C’est la vie anglaise, vue, peinte, jugée à distance par un étranger bien informé et pénétrant, qui a lu et relu, de préférence, Thackeray et Disraeli. Mais il n’y faut pas chercher cette intimité étroite avec le sujet, cette émotion profonde qui semblait sourdre, si je puis dire, des pages les plus ironiques des Children of the Ghetto.

M. Zangwill n’avait pas encore quarante ans. Vers quel objet, dans quelle carrière allait, maintenant, évoluer son activité ? Allait-il persister dans la voie nouvelle où il n’avait rencontré qu’un demi-succès ? Allait-il retourner au Ghetto qui lui avait déjà donné, au point de vue littéraire, presque tout ce qu’il pouvait donner ?


IV

« Un matin, me dit M. Zangwill[1], je vis entrer dans mon cabinet un gentleman qui m’était inconnu. C’était le docteur Hertzl. Il me dit ex abrupto :

« — Je m’occupe de constituer une patrie pour les Juifs. Voulez-vous m’aider ?

« J’étais très surpris, continua M. Zangwill. J’avais un autre idéal et je l’avouai au docteur Hertzl. »

On a vu tout à l’heure quel était cet idéal poursuivi ou, du moins, caressé par M. Zangwill : la conquête du monde par l’idée juive, c’est-à-dire par la religion mosaïque, débarrassée des formules étroites aussi bien que des pratiques puériles, et condensée, concentrée dans ces grands principes qui en sont l’essence.

Le docteur écouta M. Zangwill avec un sourire amical.

— Très bien, mais votre idéal est un idéal lointain. Peut-être faudra-t-il des siècles pour s’en approcher. Pendant que vous vous complaisez dans un noble rêve, à l’abri de libres institutions, nos frères, là-bas, souffrent la persécution pour leur foi.

  1. Cette conversation avait lieu le 18 juin 1909, au quartier général de l’Ito (King’s Chambers, Portugal Street).