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et ses enfans. En route, que de dangers, que de fatigues, que d’épreuves ! Chose triste à dire, c’est par ses coreligionnaires, surtout, qu’il a été exploité et, — chose plus triste encore ! — l’écrivain nous jette un doute dans l’esprit au moment où nous sommes le plus émus : « Peut-être que cet homme ment ? » Tel est le résultat d’une oppression séculaire, elle engendre chez l’opprimé l’esprit de ruse et de tromperie ; elle lui dégrade l’âme encore plus que le corps, si bien qu’il lui faudra un long apprentissage pour se rendre digne de la liberté reconquise.

Donc, les voilà dans ces mansardes nues et démeublées, qui réalisent l’impossible problème d’être sans air et d’être, en même temps, ouvertes à tous les vents. La charité juive vient à leur secours. Cette charité est très réelle, mais, par l’esprit, le ton, la méthode, elle diffère complètement de la charité anglaise. On cherche du travail à ces malheureux, mais la chose n’est pas aisée, car, d’ordinaire, ils n’ont point de métier. Dans leur pays primitif, peut-être tenaient-ils une boutique ou une auberge. Pour exercer une profession semblable en Angleterre, il faut un capital, or leur dernier kopek a disparu avant qu’ils aient mis le pied sur le sol anglais. Que faire ? Mendier ? Le Ghetto a ses schnorrers, et M. Zangwill leur a consacré un volume spécial. Mais beaucoup aimeraient mieux mourir que de tendre la main. Ils sont réduits à vivre de jobs, c’est-à-dire de besognes temporaires et accidentelles qui n’assurent jamais le pain du lendemain. L’homme essaiera de vendre des oranges ou des allumettes, la femme et les filles laveront du linge chez des Juifs aisés ou coudront des boutonnières dans l’atelier d’un sweater qui se posera en philanthrope en leur donnant, pour un travail utile, un salaire dérisoire. Pendant des semaines, des mois, souvent pendant des années, l’existence de la famille est an problème quotidien qui se pose chaque matin et que chaque soir résout tant bien que mal.

Peu à peu une sélection s’opère. Le Juif actif et intelligent se débrouille ; la jolie fille trouve des amis, des protecteurs. Heureuse si elle rencontre sur son chemin un brave garçon qui l’épouse ! Sa beauté peut lui valoir d’autres succès qui la feront sortir du ghetto par une mauvaise porte. Cet aspect de la vie juive, qui aurait fourni bien des pages à l’auteur de la Comédie humaine, ou à l’auteur des Rougon-Macquart, est absent, et pour cause, des Children of the Ghetto. M. Zangwill y a touché dans