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aussi haut que cette muraille imaginaire qui sépare le monde juif du monde chrétien. Partout où il y a un Juif, n’occupât-il qu’un galetas de quelques pieds carrés dans une maison pleine de chrétiens, ce galetas est un ghetto. C’est surtout en Angleterre que cette ligne de démarcation idéale s’accuse et fait sentir ses effets. Londres n’a jamais eu de Ghetto proprement dit au moyen âge et, au seuil de notre XXe siècle, le ghetto londonien est le seul véritable ghetto qui subsiste en pays civilisé, à l’exception des pays slaves. Les Juifs des États-Unis et de l’Argentine tendent, dit-on, à s’absorber rapidement parmi la population qui les entoure, à abandonner leurs mœurs et leur langue pour s’assimiler les mœurs ambiantes. Au contraire, la vie juive tend à se concentrer, de plus en plus, dans l’East End de Londres. Elle résiste non seulement aux maladroites tentatives de conversion dont on la sollicite, mais à toutes ces infiltrations lentes, à ces contacts de tous les jours qui triomphent, en quelques années, ou, tout au moins, en deux générations, de la nationalité la plus tenace. D’où vient cette persistance ? La réponse ou, plutôt, les diverses réponses qu’on peut faire à cette question se trouvent dans les Children of the Ghetto et dans ses appendices, je veux dire dans les autres livres par lesquels M. Zangwill a complété sa peinture de la vie juive en Angleterre. Ce phénomène s’explique partie par des raisons exotériques et partie par des raisons ésotériques. Une atmosphère de malveillance, sinon d’hostilité, entoure et isole le Juif. L’Anglais des hautes classes voile ce sentiment sous l’hypocrisie du savoir-vivre. Il éclate, dans le monde d’en bas, en récriminations violentes contre la concurrence déloyale que fait le nouveau venu au travail indigène. Mais le Juif s’isole volontairement encore plus qu’il n’est tenu à l’écart par une dédaigneuse et méfiante hospitalité. Bien que des lois toutes récentes aient apporté des restrictions à l’immigration des Juifs nécessiteux, venus de l’Europe orientale, cette immigration, conséquence naturelle des persécutions dont ils sont l’objet dans, le pays que je n’ose appeler leur patrie, continue et va s’accusant de jour en jour. C’est par elle que le Ghetto s’alimente et se perpétue. Dans l’un des récits des Ghetto comedies (le dernier né de ses livres), M. Zangwill a fait raconter au Juif son odyssée depuis la lointaine frontière russe, qu’il a eu tant de peine à franchir, jusqu’à ce grenier de Spitalfieds ou de Highway Ratcliffe où il vient s’échouer, sans ressources, avec sa femme