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permission de faire passer dans notre langue, ne désigne pas cette lente évolution des caractères et des tempéramens qui, sous l’action de causes profondes, substitue des traits nouveaux aux traits héréditaires de la race, évolution à laquelle, — personne ne l’ignore, — le Juif est plus réfractaire qu’aucun autre peuple. L’anglicisation n’est pas un phénomène naturel, mais un acte volontaire et réfléchi, une adaptation, plus apparente que réelle, de l’individu à un nouveau milieu social dont il sent qu’il ne peut s’assimiler les avantages que s’il en accepte aussi les obligations, les préjugés et les contraintes. Au surplus, c’est M. Zangwill lui-même qui nous initiera à tous les détails de ce curieux procédé par lequel un juif devient un Anglais sans cesser d’être un juif et, par analogie, nous en tirerons, peut-être, quelques lumières sur l’état véritable des relations qu’entretient, avec le sémitisme, notre société française.

Ce qui est certain, c’est qu’Israël dut au fait d’être né sur les bords de la Tamise le privilège d’échapper aux épreuves les plus pénibles de l’anglicisation.

On ne peut avoir qu’une âme, et celle d’Israël Zangwill devait être, et tous les jours davantage, une âme juive, mais on peut loger, dans des compartimens étanches du cerveau, deux intelligences de nationalité différente. A Bristol, dans l’école de Redcross Street, et à Londres, dans la Jews’ Free School, l’enfant reçut une double éducation, anglaise et juive. Grâce à des facultés prodigieuses, — le mot n’est pas trop fort ! — qui éveillèrent l’attention de protecteurs influens, il avait, de bonne heure, poussé aussi loin que possible cette double éducation et, à ses momens perdus, emmagasiné dans son cerveau toute la littérature romanesque de son pays d’adoption. Il n’avait que dix ans lorsqu’il composait, sur ses cahiers d’écolier, un roman en deux volumes où il mettait en scène les incidens et les aventures de la vie scolaire. Un de ses anciens camarades croit même se rappeler une œuvre encore plus ancienne, mais le précoce écrivain n’en a aucun souvenir. A seize ans, nous le voyons errer dans les sables de Ramsgate, avec une comédie dans sa poche. Les protecteurs dont j’ai parlé l’ont envoyé là pour respirer la brise de mer et reprendre des forces après un travail excessif. Il espère rencontrer sur la plage le célèbre acteur Toole auquel il veut offrir son manuscrit. Mais Toole ne se montre pas et, à sa place, Israël Zangwill trouve et ramasse une feuille détachée d’un