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qu’ils peuvent acquérir la capacité nécessaire. La difficulté que l’ouvrier éprouve de nos jours à faire marcher une coopérative de production en est la preuve. Imprévoyant, insoucieux du lendemain, trop peu instruit, l’ouvrier est obligé de faire appel le plus souvent à des « bourgeois » pour gérer la production et l’échange. Sans qu’il y ait de sa faute, son incapacité politique n’est pas moindre à notre époque que son incapacité administrative. Toute la politique, pour la plupart des ouvriers, se réduit à voter en faveur des candidats les plus révolutionnaires (que leurs théories soient absurdes ou non), à faire des émeutes, à tenter des révolutions, à saboter et boycotter, enfin à changer presque toutes les grèves en scènes de violence et de pillage. Ecraser quiconque n’est pas de son avis, voilà le plus souvent la politique de l’homme du peuple ; elle se montre à nu dans les réunions publiques (« Enlevez-le ! »), surtout dans les coalitions et grèves. Les socialistes sincères le reconnaissent eux-mêmes, mais ils espèrent que, dans l’avenir, tout changera par le seul fait qu’on aura proclamé la collectivité des biens. On pourrait leur demander s’ils croient vraiment que, dans cent ans, dans cinq cents ans, dans mille ans, la foule ne sera pas toujours la foule, ayant devant l’élite la même infériorité relative, la même incapacité foncière de s’élever en masse à des vues désintéressées et de longue portée, qui embrassent l’avenir lointain. Quand donc la démocratie collectiviste sera-t-elle possible, étant donné la nature humaine en général et celle des foules en particulier ? Une masse de bourgeois n’est pas plus sage qu’une masse de prolétaires et, si vous mettez seulement cinq cents bourgeois dans un palais législatif, ce palais retentira des clameurs d’une cohue mal disciplinée.

Quant aux fonctionnaires de la démocratie, sur lesquels compte le collectivisme, nous savons la peine qu’ils ont déjà, de nos jours, à bien accomplir une besogne souvent toute machinale : nous savons aussi l’indiscipline dont ils sont capables envers leurs chefs et les coalitions qu’ils peuvent former pour imposer leurs volontés au gouvernement et au public. Il est donc imprudent de compter sur le fonctionnarisme pour réaliser la justice distributive. Nous ne saurions croire que le seul remède à nos maux soit de tout décharger sur les épaules de l’administration, qu’il s’agisse de l’Etat, de la commune ou de la fédération des syndicats. Les mérites de nos gouvernemens