Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la science, des arts, de la morale, de la justice, de la défense nationale, des finances, de l’agriculture, etc. Cette différence entre les deux Chambres est fondamentale ; la méconnaître ou ne pas la consacrer dans les institutions, c’est s’abandonner au caprice des hommes et des choses. Tous les grands peuples ont plus ou moins vaguement compris ce rôle de la Chambre haute ; tous sont arrivés, par des moyens plus ou moins empiriques et imparfaits, à représenter les intérêts universels. Au-dessus de l’empirisme politique, il serait temps d’élever des institutions vraiment raisonnées. N’est-ce pas, par exemple, un intérêt et même un droit absolument général, indépendant de toutes les professions et commun à toutes, que l’instruction soit bien organisée et qu’elle soit surveillée par l’Etat ? Il faut donc, au Sénat, des représentans de l’enseignement, non en tant que profession, mais en tant que fonction et magistrature publique. N’est-ce pas encore un intérêt absolument général que la haute science progresse ? Il faut donc au Sénat des représentans des corps savans, qui, à leur manière, exerceront encore une magistrature. C’est un intérêt et un droit absolument général que la défense militaire de la patrie soit forte et stable ; il faut donc des représentans de l’armée et de la marine. C’est un intérêt absolument général que d’assurer l’essor de l’industrie, de l’agriculture, du commerce ; il faut donc des représentans de l’industrie en général, du commerce en général, de l’agriculture en général, indépendamment de toute profession particulière. Il faut, en d’autres termes, qu’une démocratie emprunte les membres de sa Chambre haute aux élites de l’enseignement, de la science, de la littérature, de l’armée, de la magistrature, de l’industrie, du travail ouvrier, du commerce, de l’agriculture, des finances, de la politique, de la diplomatie. Il faut que cette élite des élites, élue par les corps compétens avec ratification par le suffrage universel, continue et maintienne, au-dessus des volontés changeantes, la tradition ininterrompue de la vie nationale.

Le vrai problème démocratique, on le voit, n’est pas de représenter tous les intérêts particuliers des individus ou des groupes ; il est de dégager l’intérêt général, qui n’est nullement le simple total des intérêts d’individus ou de groupes, qui souvent même leur est opposé, qui, en tout cas, a son existence et sa valeur propre, durable, lointaine et universelle. Aussi un philosophe se gardera-t-il d’employer ici le