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elles-mêmes ne devraient pas être entièrement sacrifiées aux plus nombreux et aux plus forts, faire la part de l’organisation sociale et des fonctions sociales, qui sont permanentes ; il faut assurer la stabilité de la vie collective sous la mobilité des volontés individuelles.

C’est pour cette raison que, aux yeux du philosophe et du sociologue, une seconde Chambre, fondée sur l’idée de valeur organique, est absolument indispensable pour compléter la première, fondée sur l’idée de nombre. Une démocratie soucieuse non pas seulement du bien des individus, mais du bien de l’État, doit assurer aux droits universels de la nation, comme à ses intérêts universels, une constante prépondérance au moyen d’une constante représentation de tous par l’élite. À côté de la Chambre des députés, qui représente surtout les droits et intérêts légitimes des individus, dans leurs rapports mutuels et dans leurs rapports avec l’État, la Chambre haute doit représenter les intérêts des organes essentiels de l’État dans leurs rapports mutuels et dans leurs rapports avec les individus. Sans cette seconde Chambre, nous avons la tyrannie ou l’anarchie, ou les deux à la fois ; nous n’avons pas la vraie liberté. L’existence d’un Sénat n’est donc pas seulement facultative ; elle est de droit. Et ce Sénat doit être organisé de manière à ne pas être une simple doublure de la Chambre, mais son complément nécessaire, répondant aux grands organes sociaux.

Maintenant, quels sont ces organes ? Le sociologue peut-il les reconnaître dans les conseils municipaux et dans les conseils généraux, c’est-à-dire dans des conseils purement locaux ? Le territoire et ses divisions représentent-ils les appareils les plus essentiels de la vie nationale ? Non. L’Université, l’armée, la marine, les associations savantes, les associations ouvrières, industrielles, agricoles, sont des organes autrement importans que le Conseil municipal de Carpentras ou même celui de Toulouse, à qui les défunts sont chers. Dans nos sociétés de plus en plus complexes, les groupemens sociaux, intellectuels et économiques, l’emportent de plus en plus sur les groupemens géographiques. J’ai beau habiter Menton, je vis surtout avec ceux qui ont des préoccupations d’esprit semblables aux miennes. Si donc la Chambre des députés représente plus particulièrement les volontés de tous les individus actuellement vivans, le Sénat, lui, devrait représenter les intérêts perpétuels et collectifs de