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me confier leurs enfans ? L’intérêt bien entendu de l’État lui-même est de laisser toutes les opinions libres, toutes les portes ouvertes, tout l’air et toute la lumière circulant sans entraves.

En somme, le monopole de l’enseignement, que réclament les socialistes, serait une injustice à l’égard de ceux qui voudraient et pourraient enseigner sous les conditions reconnues nécessaires ; il serait une injustice à l’égard des parens qui, ayant élevé leurs enfans jusqu’à un certain âge, se verraient tout d’un coup retirer le droit de les faire instruire conformément à leurs propres convictions ; il serait une injustice à l’égard des enfans mêmes, que l’Etat obligerait à n’entendre que le son d’une seule cloche, celle qu’il ferait sonner. Il serait une injustice à l’égard de la nation entière, dont il compromettrait la liberté de conscience et le progrès intellectuel. Enfin il serait un mauvais service rendu à ceux mêmes qui espèrent profiter du privilège. Rien n’est pire que d’avoir seul le droit de parler et de prononcer : c’est l’origine de toutes les erreurs invétérées et de tous les aveuglemens. On devrait, au besoin, solliciter la contradiction ; on devrait, au besoin, payer les gens pour vous contredire, pour chercher les points faibles de vos opinions. Les démocrates et socialistes qui veulent s’arroger, par politique, le monopole de l’enseignement, répètent tous les vieux sophismes des fanatiques qui se sont prétendus la voie et la vie. Ils ont beau dire qu’ils enseigneront au nom de la Science : là où il y a vraiment science il n’est pas nécessaire d’établir des monopoles. Croyez-vous que des professeurs libres, munis de diplômes d’Etat et soumis à l’inspection de l’Etat, enseigneront aux élèves que deux et deux font cinq, qu’un triangle a quatre angles ou que l’eau est un corps simple ? Que craignez-vous ? Si vous craignez quelque chose, c’est que vous savez qu’il s’agit de croyances et d’opinions, non de « science. » Par conséquent, vous voulez que votre opinion, à vous, soit tenue pour indiscutable. Vous voulez un monopole parce que vous savez que, si vous ne parliez pas seul, on trouverait cent raisons de vous contredire. Vous mettez en avant l’Etat, comme si vous étiez l’Etat ; mais l’Etat est-il plus infaillible que les autres ? l’Etat n’est-il pas, en fin de compte, le gouvernement, — le gouvernement de tels et tels hommes aujourd’hui au pouvoir, demain renversés et remplacés par d’autres non moins éphémères ? Et c’est à ces hommes que vous voulez donner le droit d’exploiter exclusivement les