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sa production. Le sol malgré tout en reste avare ; il ne s’en recueille pas plus de 5 millions de kilos ; ce n’est guère auprès des 12 milliards de kilos de pommes de terre.

Le jour où la nature aurait laissé surprendre son secret de fabrication, les déterreurs de truffes, qui ne travaillent jusqu’ici que pour les riches, verraient leur clientèle s’étendre autant que celle des planteurs de choux ou des cueilleurs de fraises. Car avant qu’on ne les eût transportées, au xvie siècle, des bois dans les jardins, il n’était de fraises que sauvages. À s’apprivoiser, elles perdirent d’abord en qualité ce qu’elles gagnèrent en grosseur, puis on les perfectionna. De nos jours elles ont envahi les champs, on les élève eu pleine terre.


Ah ! qu’il fait donc bon cueillir la fraise !
Au bois de IBagneux
Quand on est deux.


Oui, mais quand on est deux mille et qu’au lieu de s’égarer dans les sentiers ombreux, les cueilleurs marchent en file accroupis sous le soleil, la cueillette a sans doute moins de charme. Elle a pourtant sa grandeur, cette moisson de fraises, pour laquelle chaque matin, dans la saison, des centaines de charrettes viennent aux Halles écumer les travailleurs. Ces recrues ne sont pas toutes de premier choix ; il y a contraste entre la besogne et les mains qui l’accomplissent. Plus d’une de ces mains est inquiétante, et ce n’est pas seulement à des fraises sur leur tige qu’elles sauraient à l’occasion tordre le cou.

Chaque homme est muni d’une corbeille qui sert à contenir sa récolte et à mesurer son salaire ; le travail se paie aux pièces, les plus rapides à dépouiller le fraisier gagnent davantage ; le patron ne fournit que le gîte dans des campemens et la soupe que préparent de vastes cantines. Et tout le long du jour les corbeilles s’empilent, pour l’apport de la nuit prochaine aux marchés. Des formes vagues rampent dans la verdure sous l’œil des gendarmes, dont la silhouette se découpe sur l’horizon, la présence des brigades du voisinage n’étant pas inutile pour empêcher les rixes parmi cette foule bigarrée.

Grâce à la culture industrielle des fraises par milliers de quintaux, les plus humbles prolétaires mangent pour quelques sous le dessert que, seuls, les Français aisés pouvaient s’offrir il y a un demi-siècle. Quittez Paris, allez dans l’Est, allez dans le