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à l’Angleterre ; supérieur en nombre, mais non pas en qualité, car les petits œufs exotiques se vendent moitié prix des œufs de choix, picards ou normands. Lorsque ceux-ci montent à 1 fr. 75 la douzaine, ceux-là ne dépassent pas 0 fr. 85 à l’automne, époque de disette et de cherté.

Notre temps, qui a résolu beaucoup de problèmes alimentaires, n’a pas encore trouvé le secret de faire pondre les poules en toutes saisons, ou de conserver les œufs frais sans dommage d’une saison à l’autre. Il existe vingt systèmes dont le but est de soustraire la coquille aux influences extérieures, sans pourtant la rendre tellement imperméable que l’œuf, sorte d’animal vivant, une fois privé d’air, s’étiole, meure et se décompose. Aucune de ces méthodes n’étant assez efficace pour garantir les producteurs des pertes considérables que la gelée, la pourriture et diverses maladies leur infligent, les consommateurs doivent payer les œufs en hiver le double de ce qu’ils coûtent au printemps.

L’amplitude de ces fluctuations était beaucoup plus grande jadis où de grosses entreprises ne contribuaient pas comme aujourd’hui à équilibrer les cours ; mais si la douzaine d’œufs, suivant les mois de l’année, s’élevait parfois au moyen âge et sous l’ancien régime jusqu’à 1 fr. 75, elle baissait à 0 fr. 40 et même au-dessous dans les campagnes, lorsque à la fin du carême, pendant lequel la vente et la circulation étaient suspendues, les « œufs de Pâques » représentaient moins une occasion de cadeaux qu’une ressource d’alimentation populaire.

Le bon marché des œufs anciens est toutefois plus apparent que réel ; leur volume étant d’un tiers moindre que celui des nôtres, il en fallait beaucoup plus pour la même omelette et, par la sélection des races, ce comestible, sans avoir changé de nature ni de nom, se trouve lui aussi tout autre que par le passé.

V

Dans un livre intitulé l’ « An 2440, » où Mercier prétend deviner l’avenir, il conte q’au vingt-cinquième siècle : « les légumes, les fruits, étaient tous de la saison et l’on avait perdu le secret de faire croître au cœur de l’hiver des cerises détestables. On n’était pas jaloux des primeurs, on laissait faire la nature. » Nul ne sait quels seront dans cinq cents ans les goûts de nos descendans ; jusqu’ici la prédiction de Mercier ne paraît pas se