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ou moins fins, suivant les herbages, mais toujours comestibles.

Nos pères, tout résignés qu’ils fussent à manger du beurre rance comme du poisson un peu faisandé, ne connaissaient d’autre procédé de conservation qu’une forte addition de sel. De ce beurre salé l’approvisionnement même était restreint ; on y suppléait par l’importation ; il se consommait sous Louis XV dans le centre de la France des « beurres d’Irlande, » introduits en barils et vendus 2 francs le kilo ; tandis qu’aujourd’hui où l’usage du beurre a partout augmenté, où il a pénétré dans la région du Midi qui l’ignorait naguère et où Paris seul en consomme dix fois plus que sous Napoléon Ier, nous exportons pour 80 millions de francs de cette denrée.

En fait de fromages au contraire, les entrées dépassent les sorties de quelques millions de kilos ; bien que le débit de cet article se soit largement accru, notre agriculture trouve plus de profit à utiliser autrement ses laitages. La « seule bonne chose qui nous vienne de Brie, » disait au xve siècle Eustache Deschamps, c’est le fromage ; les autres sortes aujourdhui connues, telles que Roquefort, Livarot, Pont-l’Evèque ou Marolles, sont modernes. Les réputations du xvie siècle : Chauny en Picardie, Bélhune en Flandre, Les Angelots en Normandie, Rosanois en Bourgogne, Biéhemont en Touraine ou la Grande-Chartreuse en Dauphiné, sont depuis longtemps abolies.

Olivier de Serres conseillait aux fermiers le fromage de lait bouilli, qui, dit-il, « se fait maintenant en Suisse, où l’on cherche à imiter le Parmesan. » L’auteur du Théâtre d’Agriculture entendait-il par cette « imitation » le Gruyère, connu en Alsace dès 1550 et fabriqué en Franche-Comté dès 1690 ? Le fromage d’Auvergne, regardé jadis comme « le meilleur de l’Europe, «  n’est plus aujourd’hui que le meilleur… marché. Il a baissé d’un tiers depuis le xviie siècle, ainsi que le Roquefort, qui valait 4 fr. 50 le kilo à Rodez sous Henri IV ; tandis que les prix du Hollande et du Gruyère ont peu varié. Mais comme il s’en fabrique maintenant dix fois plus, leur consommation a dû croître dans une mesure équivalente.

Si les œufs ont enchéri plus qu’aucune autre denrée, c’est sans doute que les 250 millions de douzaines, auxquelles on évalue la ponte annuelle des poules françaises, ne suffisent pas à nos concitoyens. Nous achetons en effet à l’Italie, à la Russie et même à la Turquie un stock supérieur à celui que nous vendons