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la fin de l’ancien régime, le lait avait baissé à 0 fr. 30 dans les campagnes, mais coûtait encore 0 fr. 55 à Paris. Il y était apporté de deux lieues de tour par des femmes qui le criaient dans les rues, ou le déposaient sur la Pierre-au-lait, nom d’une petite place près Saint-Jacques-la-Boucherie, centre de ce commerce.

Aujourd’hui, grâce aux voies ferrées et à la pasteurisation, le rayon d’approvisionnement de la capitale n’a presque plus de limites pour les industriels qui livrent en détail chaque matin du lait pur à 0 fr. 25, tandis que l’Assistance publique le payait encore 0 fr. 40 en 1864. L’intermittence de la production du lait dans les provinces avait cette conséquence naturelle qu’il n’existait pour ainsi dire pas de beurre frais en hiver ; « les Français, dit un écrivain du xvie siècle, servent du beurre frais sur leurs tables… au mois de mai. » En souhaitiez-vous pendant la mauvaise saison, il ne fallait pas regarder à la dépense : une princesse le paie 15 francs le kilo à Charenton au xive siècle.

Le beurre de Vanvres, sous Louis XIV, était celui que les Parisiens prisaient le plus ; il coûtait cher : 10 francs le kilo, et conserva sa vogue et son prix, jusqu’à ce que des marchands du Vexin français eussent l’idée, vers la fin du xviiie siècle, d’acheter en Normandie le beurre de Gournay, de le travailler et purger du petit-lait qu’il contenait pour l’envoyer à Paris en grosses mottes. Il est clair que, le terroir de Vanvres n’ayant aucun mérite particulier, c’était par la fabrication seule que le beurre de cette provenance était supérieur à celui des autres localités ; et c’est seulement de nos jours que la science de cette fabrication s’est répandue dans les campagnes. Il y a moins de cent ans, on faisait parfois du beurre en battant la crème avec une cuiller de bois. Le commerce parisien avait bien essayé, dès le règne de François Ier, de remédier aux défauts des beurres qui parvenaient aux Halles ; il les remaniait, repétrissait et « patrouillait, » comme dit une ordonnance du prévôt des marchands, qui défend de mêler le vieux avec le nouveau et de l’additionner de fleurs de souci pour le jaunir.

Ces innocentes pratiques n’auraient pu faire disparaître l’odeur nauséabonde que prend, au bout de vingt-quatre heures, une crème barattée trop tard, lorsque les germes de putréfaction y sont déjà développés. L’écrémeuse centrifuge, le malaxage, la création d’une industrie beurrière, ont remplacé les mauvaises qualités, ordinaires dans la petite culture, par des produits plus