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La pêche maritime, dans son ensemble, a doublé d’importance depuis quarante ans : passant de 56 millions de francs à 115. Mais la consommation du poisson frais a vingtuplé depuis 1789 dans la seule ville de Paris, — de 2 millions de kilos à 40 par an, — tandis que celle des salaisons y tombait de 4 millions de kilos sous Louis XV à 900 000 aujourd’hui. Avant la découverte de Terre-Neuve, le hareng et le maquereau salé étaient, aux jours maigres, l’ordinaire des classes moyennes ; depuis, la morue s’y ajouta, trop chère encore pour le peuple.

En 1220, dans l’Aisne, un particulier est condamné « à fournir une morue et à défaut un saumon. » Cet « à défaut » n’aurait rien de désagréable à nos yeux ; mais il signifie seulement que la morue était très rare au xive siècle et non pas que le saumon fût à vil prix. Le saumon frais surtout, puisque à la même époque il se paie 150 francs pour la table du roi saint Louis et que, du xive siècle au xviiie, il varia, suivant sa taille, de 180 à 50 francs ; tandis que le saumon salé coûtait six fois et jusqu’à dix fois moins.

Le poisson de rivière atteignait des chiffres incroyables ; dans un banquet donné par le sire de La Trémoïlle au roi Louis XII, les brochets et les carpes coûtent 63 francs pièce ; 18 lamproies, sans doute expédiées vivantes en tonneaux, de Nantes à Paris, valent 1 520 francs, — 84 francs chacune. — Un brochet, une carpe « fort raisonnable, » c’était le clou d’un dîner ; le voyageur à qui l’on en promet pour le lendemain retarde son départ afin de ne pas manquer cette friandise, et l’on dit de M. Colbert, intendant d’Alsace, qu’il est « reçu en roi, » parce qu’on lui offre une carpe de 18 livres, entourée d’une douzaine d’autres dont la moindre pesait 2 livres.

Pour avoir du poisson à leur portée, les riches entretenaient de vastes étangs qu’ils repeuplaient chèrement, et dont la location, s’ils n’en jouissaient pas eux-mêmes, procurait un très bon revenu : l’étang de Montmorency, — lac d’Enghien actuel, — rapportait au grand Condé 125 000 francs par an. Souvent les étangs étaient affermés en détail : tel, en Bourgogne, produit 7 300 francs payés par 48 locataires. Le poisson d’eau douce ne représente aujourd’hui qu’un appoint modeste : Paris en absorbe seulement 2 millions et de demi de kilos, dont la France ne fournit que le tiers ; les deux autres tiers proviennent de l’étranger, principalement de Hollande. Mais il ne faudrait