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bien tendre… et que le maître d’hôtel lui demande tous les jours si Sa Majesté se trouve bien traitée. »

III

« Si l’on pouvait, écrivait Mercier en 1781, détailler au juste de quelle manière se nourrissaient jadis le paysan, le simple citoyen, le noble campagnard, le grand seigneur, le clergé et les moines, on verrait peut-être par la table quel était alors le degré de l’aisance particulière, et cela serait bon à savoir. »

Nous ne serions pas encore, il faut l’avouer, beaucoup plus renseignés là-dessus qu’il y a un siècle si, comme on l’a fait souvent, nous attachions trop d’importance à quelques tables opulentes, ou si nous regardions la table bourgeoise aux jours de gala exceptionnel, — encore devrait-on prendre garde à mesurer les plats et à évaluer leur contenu. — C’est dans la vie journalière, en comparant les sommes dépensées aux quantités d’alimens qu’elles représentent et les alimens consommés au nombre des bouches à nourrir que nous pourrons apprécier l’ordinaire des classes moyennes et privilégiées, comme nous avons reconstitué déjà celui du peuple[1].

Avant tout, faut-il se rendre compte de la qualité des denrées, parce que les mêmes noms servent, suivant les siècles, à désigner des comestibles très différens. Ce que nous appelons aujourd’hui du « pain » est normalement composé de la pure farine de froment. Cette farine, inconnue dans certaines parties de la France jusqu’à la fin du xviiie siècle, était jadis un produit précieux dont on faisait quelques pains de luxe et des « bouillies » sucrées, régals de princes sous Louis XIII. Ce pain de froment, les citadins actuels prétendent le manger frais ; les boulangers de Gonesse, qui apportaient naguère deux fois par semaine du pain à Paris, trouveraient dans cette capitale peu de cliens qui se contenteraient d’un pain vieux de quatre jours. Je ne parle pas de l’accueil qui serait aujourd’hui réservé aux boulangers forains, à qui il était permis seulement d’étaler des pains de rebut « durs, brûlés ou entamés par les rats ! »

Dans la campagne, après avoir travaillé longtemps à secouer le joug du four banal, commode peut-être à la population du

  1. Voyez nos Paysans et ouvriers depuis sept cents ans, ch. vi à ix.