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convives professionnels, fût-il exact sous Louis XVI (?), ne trouverait plus à salimenter dans notre capitale actuelle, sextuplée, mais où les couverts sont comptés d’avance. Depuis le moyen âge, où le luxe était de ne les compter pas, cet usage libéral était allé se restreignant peu à peu. Au xviie siècle, bien que ce fût encore pour un homme en vue une sorte d’abaissement social que de « retrancher sa table, » le bon ton n’obligeait plus à la campagne, ni à la ville, à donner à manger à tous ceux qui se présentaient ; et l’on voyait des auberges, dites « tourne-brides, » à proximité des châteaux dont les maîtres ne se souciaient pas d’héberger les valets et les chevaux des hôtes qu’ils recevaient.

Dans la bourgeoisie, la réjouissance fondamentale n’était plus le repas-monstre auquel prenait part tout le voisinage, banquets de baptêmes, de relevé de couches, de don du pain bénit ; les traiteurs au xviiie siècle se plaignent que les festins de noce deviennent de jour en jour moins fréquens : pour n’en point faire, on s’enfuit à la campagne. À la Cour, les derniers Valois avaient opéré « sur leurs maisons et mangeailles beaucoup de retranchemens ; » c’était « par boutades, dit Brantôme, que l’on y faisait bonne chère, car le plus souvent la marmite se renversait. » Néanmoins, sous les Bourbons, le nombre des gens qui « avaient bouche à la Cour » maintenait très haut ce chapitre des dépenses royales, sans que d’ailleurs le faste y fût bien grand : au bal masqué donné pour le mariage de la Dauphine (1747) dans les grands appartemens de Versailles, il n’y avait aux buffets que du vin, des brioches, du pain, quantité d’oranges et des paquets de sucrerie.

Quant à la cuisine personnelle de Louis XV, elle n’était guère bonne, malgré, ou peut-être à cause, de la façon dont se recrutaient les officiers des fourneaux. Il est curieux de penser que ce monarque délicat ne mangeait vraiment bien que pendant certains voyages où, au lieu des titulaires en charge, il se servait de cuisiniers d’extra, choisis parmi les plus fins de Paris.

Ses prédécesseurs n’étaient pas plus favorisés, si l’on en juge par une ordonnance de Henri III, relative à sa propre table, où ce prince s’exprime ainsi : « Les jours que le Roi mangera de la chair aura son bouillon le matin, bien cuit et bien consommé, et non si plein de graisse et clair comme il est quelquefois… » Le reste n’était pas moins défectueux ; la même ordonnance porte : « Seront très soigneux les officiers de bien accoutrer la viande du Roi, que l’on ne lui serve rien qui ne soit fort bon et