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expédiés par ses soins à ses cinquante-quatre ou cinquante-six succursales de province[1] ; — que beaucoup d’autres des « Mazarinades » pieuses, mêlées aux Mazarinades parlementaires et princières, ressemblent tellement, pour le fond et pour le style, aux circulaires de la Compagnie qu’elles ont l’air de sortir de la même plume ; — si l’on réunit toutes ces circonstances, on comprendra que Mazarin ait pu considérer les Dévots du Saint-Sacrement comme les chefs de cette partie de ses adversaires qui ne voulait peut-être pas le renverser par la force, mais qui voulait cependant le renverser. On comprendra le langage que, selon d’Argenson, Mazarin tint à Anne d’Autriche et à mylord Montaigu le jour où, deux ou trois ans plus tard, l’organisation des Compagnies du Saint-Sacrement lui fut plus clairement révélée. « Il est vrai, Madame, » — répondit-il[2] à la Reine mère qui lui reprochait de « pousser à bout » la Compagnie, — « qu’ils n’ont rien fait de mauvais jusqu’à présent, » mais « ils en peuvent faire par leurs grandes intrigues et les correspondances qu’ils ont par toutes les villes du Royaume. En bonne politique, pareille chose ne doit point se souffrir dans un Etat. » Qu’est-ce, poursuivait le Cardinal, que ces tournées du marquis de Fénelon, qui parcourt le royaume en y établissant ces Compagnies ? « La noblesse s’assemble en secret, » sans doute pour cabaler quelque chose contre le service du Roi ; Fénelon a bien l’air de vouloir « se faire dus amis pour devenir puissant ; » « tous ces dévots sont intéressés et ambitieux. » Se souvenant des dessous mystiques qu’il avait confusément devinés dans les réalités de la Fronde, Mazarin crut qu’il avait enfin découvert et l’état-major et la milice organisée de ce parti insaisissable et nébuleux des Dévots dont, depuis douze ans, il avait trouvé devant ses pas, à chaque instant, soit les assauts publics, soit les souterraines manœuvres, encouragées par la discrète complicité d’Anne d’Autriche. Après qu’il eut « rompu les assemblées » de la Compagnie, se vantant à la princesse de Conti d’avoir détruit « toutes ces cabales » d’apparence religieuse, il assurait que la Ligue avait eu de moindres commencemens

Mais Mazarin se flattait : la « Cabale des Dévots » n’était pas détruite. Colbert, n’étant encore qu’agent du Cardinal, avait,

  1. Voyez la Revue du 15 août 1908.
  2. D’Argenson, éd. de dom Beauchet-Filleau, p. 262, 263 et suivantes.