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de Mazarin, il tâche de décider le Cardinal, par persuasion (lettre du 5 juillet) à accorder à ce prince « la satisfaction que ce prince désire, » c’est-à-dire à s’en aller. Il écrit, en août et septembre de la même année, deux autres lettres, l’une au pape Innocent X pour lui exposer les maux de la France et le prier de les faire cesser, en « rétablissant l’union dans la famille royale, » l’autre, à Mazarin lui-même (un long mémoire où se mêlent aux conseils spéculatifs des renseignemens minutieux sur l’état des esprits dans la capitale). Ces deux lettres nous montrent en saint Vincent de Paul un homme très informé. Et encore qu’il y déclare « n’avoir plus aucune communication avec ses anciens amis qui sont dans les sentimens contraires à la volonté du Roi, » il y avait une coïncidence et un accord étrange entre ces écrits et les efforts que faisaient, à cet instant précis, Lamoignon et Fontenay-Mareuil, — deux autres membres de la Compagnie, — pour déterminer le cardinal de Retz à assumer hardiment le rôle de « sauveur » de l’Etat. Et c’est immédiatement après que Retz alla faire auprès de la Cour, à Compiègne, — à la tête de son clergé, escorté de deux cents gentilshommes et de « cinquante gardes de Monsieur, » — une démonstration comminatoire et triomphale.

Dans ces démarches de saint Vincent de Paul, il est impossible de méconnaître, non seulement la « démangeaison » de négociations, la « fièvre d’état, » — selon le mot de Retz, — qui régnait alors, et qui mettait les gens les plus sages en « une sorte de frénésie, » mais encore une véritable « ligne » politique. Cette activité, comment l’expliquer ?

Le dernier historien ecclésiastique de saint Vincent de Paul, l’abbé Maynard, avoue très sincèrement que la physionomie traditionnelle du saint est incomplète, que l’humble missionnaire et le doux philanthrope chrétien y ont effacé indûment un politique ignoré ou méconnu, politique inspiré, bien entendu, des meilleures intentions et du plus louable désir de la paix publique, — mais « politique. » — Faut-il toutefois que nous prenions si aisément notre parti d’une transformation nécessaire de la physionomie traditionnelle du saint homme ? Lui qui, sur le devoir qu’ont les ecclésiastiques, surtout les missionnaires, de s’abstenir, — même pour le bon motif, des affaires temporelles, lui qui, sur l’inutilité qu’il y a, pour les vrais serviteurs de Dieu, à s’ « empresser, » à hâter les choses divines par des moyens