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Ses compatriotes — les hommes même — ont loué devant moi le talent de Fatmé Alié, sa délicate sentimentalité, son style clair et poétique. Elle a publié de nombreux ouvrages. Deux seulement ont été traduits en français : Musulmanes, — étude sur la vie intime des femmes turques, — et Oudi (la Joueuse de luth).

Des qualités littéraires de l’écrivain, rien n’est resté dans les traductions que je viens de parcourir, traductions déplorablement lourdes, qui offensent à la fois l’art, la logique et la grammaire. Si Fatmé Alié connaissait à fond la langue française, elle garderait une rancune éternelle à ses traducteurs. Malgré les gaucheries de la transcription, la sentimentalité se révèle, un peu surannée pour nous, un peu larmoyante, à la mode de 1820. Quant aux idées de l’auteur, elles sont très sages, plus sages que hardies, et ne mettent en péril ni la société, ni la religion. Fatmé Alié est une pieuse musulmane, qui vénère le Prophète, qui a lu et étudié le Coran dans le texte, et qui est savante en théologie comme un hodja.

Son roman, la Joueuse de luth, passe ici pour un chef-d’œuvre. Que n’ai-je pu le lire dans le texte original ! Assurément, les grâces du style lui doivent ajouter un charme que je ne soupçonne pas.

L’affabulation est simple. Nous avons vu ce même sujet traité par de nombreux écrivains. Nous connaissons le méchant mari, la danseuse perverse, l’épouse vertueuse qui, trompée et ruinée, gagne sa vie en donnant des leçons de musique. Cette histoire morale et attendrissante, contée par une dame turque, reprend une espèce d’originalité.

Ce qui étonne le lecteur, c’est l’extrême naïveté de l’auteur quand il passe de l’analyse sentimentale aux détails de la vie pratique. On voit comment une personne, enfermée dans son foyer, se représente les réalités sociales et la lutte pour la vie.

Fatmé Alié pense que la femme doit exercer un métier et gagner de l’argent. C’est fort bien. Mais l’héroïne du livre se tire d’affaire avec une facilité aussi enviable que surprenante, et celles qui tenteraient de l’imiter risqueraient quelques déceptions.

Le père de Bédia, Nasmi bey, s’était ruiné parce qu’il aimait trop le plaisir et la musique. « Il passait pour maître, même parmi les professionnels. Quand il constata que sa bourse était