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droit en est une autre. C’est cette distinction, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’il ne faut pas perdre de vue. On peut parfaitement admettre que les inscrits maritimes aient, en vertu de la loi de 1884, le droit de se concerter pour l’étude et le règlement de leurs intérêts professionnels ; on peut admettre aussi que, lorsqu’ils ne sont pas liés à l’armateur par un contrat débattu et accepté, ils peuvent s’entendre pour n’accepter le travail qu’à des conditions déterminées ; on peut soutenir qu’il n’y a là rien d’illicite. Mais où la faute qui entraîne la responsabilité civile des inscrits apparaît et où apparaît aussi, à cause de la législation spéciale non abrogée qui les régit, le délit entraînant leur responsabilité pénale, c’est lorsque, liés par un contrat régulier et ce contrat ayant même reçu un commencement d’exécution, ils abandonnent brusquement leur navire et leur service. La grève qu’ils font ne les met pas à l’abri des risques et des périls auxquels ils s’exposent. En un mot et d’une façon générale, la loi de 1884 a simplement fait disparaître le délit spécial de coalition résultant de l’article 416 du Code pénal ; il ne s’ensuit nullement qu’en se coalisant el en faisant grève dans certaines conditions, les salariés n’encourent pas les responsabilités civiles et pénales résultant des autres textes de lois non abrogées.


Je me serais bien gardé de m’aventurer dans cette discussion juridique sans avoir pris conseil de jurisconsultes éminens, tels que Me Dambeza, avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État, et leur opinion est entièrement conforme à celle que je viens d’exposer.

Du reste, M. Chéron qui a pour les inscrits un cœur de père, ce dont personne ne le blâmera, — ne vient-il pas de prescrire l’emploi de la trousse individuelle qui sera mise à la disposition de chaque marin et où il trouvera les moyens prophylactiques contre l’avarie ? — M. Chéron ne paraît pas très rassuré sur la légalité de l’interprétation actuellement donnée à la loi. Il prépare, en effet, un projet dont nous ne connaissons pas la teneur, mais dont le but est certainement de modifier le texte du décret-loi disciplinaire dont nous avons longuement parlé, et de le mettre en harmonie avec les opinions émises à la tribune de la Chambre en 1904. Si ce projet était voté, ce serait le dernier coup porté à l’armement, livré dès lors pieds et poings liés aux