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Nous avons vu que les inscrits maritimes sont des travailleurs privilégiés à certains points de vue el le privilège suppose presque toujours des obligations corrélatives qui sont le tribut et la rançon de ce privilège. Les inscrits ont un état spécial, comme le dit le titre 4 de la loi du 24 décembre 1907, et cet état les différencie nettement des salariés ordinaires. Leur situation n’est pas sans analogie avec celle des fonctionnaires et employés des services publics auxquels le gouvernement refuse avec énergie, précisément à cause de leur statut spécial, le droit de grève.

En échange des avantages qui leur sont concédés, et pour des considérations d’ordre public, de sécurité des navires et des passagers, les inscrits sont soumis à une discipline qui, dans une certaine mesure, restreint leur liberté. C’est ainsi que la loi leur défend, sous des sanctions pénales, de déserter le navire à bord duquel ils sont engagés. Cette défense doit conduire nécessairement, selon nous, à refuser aux Inscrits maritimes le droit de grève, et cela pour le motif que nous venons de dire, à savoir qu’ils ne peuvent pas faire collectivement ce qui leur est interdit individuellement. Or la loi leur défend individuellement d’abandonner le travail. Quoi qu’on puisse dire, une action collective ne saurait être, en droit, que la mise en œuvre, par réunion, d’actions individuelles isolément licites. D’où il résulte que les inscrits maritimes, liés par un engagement vis-à-vis des Compagnies de navigation, ne peuvent rompre cet engagement sous prétexte de grève, et que cette rupture les expose, non seulement au paiement de dommages-intérêts, mais aux pénalités de la loi du 15 avril 1898. Le gouvernement devrait donc traduire les déserteurs devant les tribunaux compétens.

On a beaucoup insisté, au cours des débats parlementaires que les grèves de Marseille ont provoqués en novembre 1904, sur l’exemple de pays étrangers (Angleterre, Amérique, Allemagne), où d’importantes grèves maritimes auraient éclaté sans que les pouvoirs publics aient cru devoir intervenir et appliquer aux grévistes les peines de la désertion.

Pour que l’exemple invoqué eût quelque valeur, il faudrait étudier les législations étrangères dans leur ensemble et dans leurs détails, tenir compte des mœurs nationales et d’une foule d’autres circonstances. Mais on ne se livre pour ainsi dire jamais à une étude complète et sincère ; on procède par