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ordres, et en premier lieu « les simples gentilshommes, » dont la condition nous intéresse dans les rapports qu’elle peut avoir avec les métiers. Qu’advient-il du noble que la nécessité condamne ou que l’adversité réduit à gagner son pain ? Le bon jurisconsulte relève, comme entrée de jeu, un contraste qui nous étonne, et dont il s’étonne grandement lui-même : « Puisque la noblesse de race, dit-il, n’est point éteinte tout à fait par le crime, il s’ensuit, à plus forte raison, qu’elle ne le doit estre par l’exercice des arts mécaniques. Et toutefois (ce qui semble étrange d’abord), encore que le crime ne prive le Gentilhomme de l’exemption des tailles, néanmoins, il est notoire que les exercices vils et mécaniques l’en privent. » Cette privation, — qui semble d’abord étrange, — Loyseau veut en rechercher le motif, et il ajoute : « dont la raison est qu’es commissions des tailles il est porté que les exempts et non exempts y seront cotisés, fors, entr’autres, les Nobles, vivans noblement, de sorte que ce n’est pas assez d’estre noble, si on ne vit noblement. » Heureusement qu’il n’est ni faute sans rémission, ni déchéance sans rédemption : « Mais il faut toujours revenir à ce point que la noblesse n’est pas éteinte absolument par tels actes dérogeans, mais est seulement tenue en suspens, de sorte que le Gentilhomme est toujours sur ses pieds pour rentrer à sa noblesse, quand il voudra s’abstenir d’y déroger. » Notez l’énergie de la phrase : « Le gentilhomme est toujours sur ses pieds pour rentrer à sa noblesse ; » et Loyseau disserte doctement sur les plus sûres manières qu’il y ait d’y rentrer. Ce qui se rattache davantage à notre sujet, c’est la manière d’en sortir. Un mot vient d’apparaître joint au nom d’arts mécaniques, la brève et dure épithète de vil ; et aussi cette expression, qui en dit long en sa sobriété : vivre noblement. Qu’est-ce qui est vil, en fait d’arts mécaniques, et quand ne vit-on plus noblement ?

« Les exercices dérogeans à la noblesse sont ceux de procureur postulant, notaire, clerc, marchand et artisan de tous métiers, fors de la verrerie, qui toutefois n’attribue pas la noblesse, et n’est pas affectée aux nobles, comme aucuns pensent. Ce qui s’entend quand on fait tous ces exercices pour le gain : car c’est le gain vil et sordide qui déroge à la noblesse, de laquelle le propre est de vivre de ses rentes, ou du moins de ne point vendre sa peine et son labeur. » Certes, le cœur saigne à cet homme de loi de comprendre dans cette triste énumération