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l’avenir est-il du côté de l’Océan, bien que la Méditerranée ne soit pas un débouché aussi médiocre que le pense le général d’Amade. Au surplus, nous ne savons pas très bien ce qu’il veut dire lorsqu’il affirme qu’elle est bornée à l’Ouest. Bornée, par quoi ? Par le détroit de Gibraltar : il nous semble que c’est là une voie tout ouverte vers l’Occident. En quoi, d’ailleurs, l’expédition espagnole menace-t-elle l’expansion commerciale de l’Algérie du côté de l’Océan, puisque Melilla, d’où les troupes espagnoles ne se sont encore éloignées que de quelques kilomètres, est précisément dans cette Méditerranée que le général d’Amade semble considérer comme une mer fermée ? Le voici. « Jetez les yeux sur la carte, dit-il : vous y trouverez une route qui, de notre frontière oranaise, va d’Oujda à Rabat par Taza et Fez. Cette route est accessible et sera reconnue bientôt par tous les voyageurs occupés de la pénétration du Maroc comme la voie naturelle qu’il convient de s’assurer. Sur cette route Taza est l’objectif essentiel. Et j’ajoute : Si nous n’y prenons pas garde, Taza pourrait bien être le Fachoda marocain. » Pour qui ? Pour l’Espagne ou pour nous ? Dieu nous garde de l’examiner ! Nous répétons que de pareilles hypothèses ne se posent pas. Si le général d’Amade connaît la guerre, il connaît moins bien la politique. Nous ne croyons nullement, malgré son affirmation, que l’armée espagnole puisse aller facilement de Sélouan à Taza : en tout cas, il lui faudrait pour cela le double, ou même le triple de son effectif actuel. Très certainement, l’Espagne ne songe à rien de pareil. Elle en a donné sa parole, et cela suffit. Nous n’avions d’ailleurs pas besoin qu’elle la donnât pour ne pas lui attribuer un projet qui aurait soulevé des difficultés de tous les genres. L’Espagne sait fort bien où sont ses intérêts et où sont les nôtres, puisque nous en sommes convenus mutuellement. Elle ne portera pas plus atteinte aux nôtres que nous ne porterons atteinte aux siens.

L’imprudence commise par le général d’Amade ne peut pas être examinée seulement à ce point de vue. Incontestablement un officier en activité de service n’a pas le droit de s’expliquer dans la presse sur la politique de son pays, et ou comprend mal qu’un homme d’une intelligence aussi distinguée que la sienne ait pu, même un moment, se méprendre à ce sujet. Le gouvernement, après s’être enquis auprès de lui de l’exactitude des propos qui lui avaient été prêtés, n’a pas pu se dispenser de le frapper d’une peine disciplinaire : il l’a mis en disponibilité et tout le monde l’en a approuvé. Le général d’Amade a rendu de trop grands services pour n’avoir pas excité beaucoup de sympathies. On a été affligé de l’obligation dans laquelle il a placé le gouver-